CÉLINE ET
LES AUTEURS (M à R)
* Jean MABIRE
(écrivain
régionaliste 1927-2006): " On
peut ne pas aimer le personnage et encore moins l'œuvre
(ou le contraire), mais on doit les reconnaître marqués de
ce signe indélébile qui se nomme tout simplement le génie.
Même ceux qui ne sont pas " céliniens " dans le sens le plus
étroit et souvent le plus sectaire du terme, doivent
constater le côté incontournable de ce monument, dont le
style à force d'être révolutionnaire et baroque, apparaît
finalement comme profondément classique.
D'avoir voulu jouer
au prophète, dans une querelle lourde de cadavres et de haine, n'a pas
exclu Céline de l'univers des lettres, pour " crime intellectuel contre
l'humanité ". Car il a justement été, par ailleurs, le plus " humain " de
tous nos écrivains, le plus proche des indigènes ex-gaulois de ces
banlieues sordides, dont il prévoyait, voici déjà plus d'un
demi-siècle, la détresse absolue. "
(National-Hebdo, n°362, juillet
1991).
* " S'il était un écrivain que l'on devait classer
à gauche lors de la parution fulgurante de son premier
roman, Voyage au bout
de la nuit, ce fut bien Louis-Ferdinand Céline.
Ancien combattant de la Grande Guerre, revenu mutilé et
pensionné des charges héroïques de son escadron de
cuirassiers, médecin des pauvres dans une banlieue les plus
sordides, anarchiste de tempérament, athée goguenard et
désespéré, cet inconnu au verbe cru et au parler vrai ne
pouvait que plaire à toutes les sensibilités humanitaires et
populistes. Mort à crédit ne fit que confirmer
une étiquette aussi rapide que le fut son succès. Mais
Céline allait vite surprendre son monde. Un voyage en URSS
pour y toucher ses droits d'auteur provoque chez lui un
véritable électro -choc. Il se révèle alors polémiste
débridé.
Anticommuniste, passe encore. Mais antisémite !
Le scandale est énorme. Bagatelles pour un massacre,
puis L'Ecole des cadavres allaient bien au-delà des
imprécations débitées jadis par Drumont dans ses deux tomes
de La France juive ! Céline perdit une bonne partie
de son public de gauche sans pour autant trouver à droite
une relève, tant ses outrances scandalisaient le bourgeois.
Il ne lui restait plus, finalement, que la solitude et le
génie. Et aussi une réputation d'énergumène qui allait à
jamais lui coller à la peau. Même si la presse de
l'Occupation n'allait publier de lui que quelques lettres
incohérentes et fuligineuses, il n'en restait pas moins,
devant la conscience universelle, le symbole de l'écrivain
raciste, objectivement complice de crime contre l'humanité.
On mesure avec lui jusqu'où pouvait aller la réaction d'un
homme tout entier bouleversé, à la veille de la guerre par
la perspective d'une nouvelle tuerie. " (Journalistes et
écrivains de gauche dans la collaboration, Le Crapouillot,
sept-oct. 1992, BC n°122, nov. 1992).
*
Pierre MAC ORLAN (de son vrai nom
Pierre DUMARCHEY, poète et écrivain, 1882-1970) : " Céline ! La radio vient de
me dire qu'il est mort. Un ami est mort, un grand écrivain est mort.
Avez-vous lu Mort à crédit ? C'est l'enfer raconté par un homme
dont beaucoup ne reconnaissent que sa hantise de la persécution ; ils
sont encore peu
hélas,
à savoir que jamais un homme n'a eu cet art étrange et merveilleux
d'assembler les mots comme Céline le fit. "
(Nouveau Candide, 6 juillet 1961).
* " La place Clichy reflète mille
détails humains
pittoresques, mais c'est la place Clichy qui les révèle
et leur donne cette force littéraire qui est la vie. La connaissance de
la vie c'est la littérature. Une maison n'existe vraiment dans l'espace
qu'au moment où elle nous impose la quantité de littérature qu'elle
contient. La force littéraire d'un immeuble est
comparable, dans bien des cas, à celle d'un homme.
Si la place Clichy rayonne en ce moment dans mon imagination, c'est
parce que je viens de lire Berlin Alexanderplatz, de Döblin. Ce
roman ressemble à une opération chirurgicale et sentimentale
magnifiquement réussie. Je ne connais rien dans notre littérature que
l'on puisse comparer à cet ouvrage, si ce n'est le livre de L.-F.
Céline : Voyage au bout de la nuit, qui, lui aussi, fait la
somme d'une rue, d'une place, d'un système de rues, de maisons et
d'hommes afin de créer une forme lyrique étroitement liée à
l'actualité. "
(Préface à Berlin Alexanderplatz, Gallimard, 1933,
dans BC n°232, juin 2002).
*
Jean MALAQUAIS (Wladimir Jan Pavel MALACKI, 1908-1998,
juif, communiste, romancier, essayiste d'origine polonaise) :
" (...) Le roman Les Javanais, publié en 1939
par Denoël, que les
critiques avaient comparé à Céline, avait obtenu le prix
Renaudot sept ans après Voyage au bout de la nuit.
D'autre part, à propos de la réédition des Javanais,
la revue Lutte ouvrière (27 octobre 1997) reproduit
un article que Léon Trotsky avait consacré au roman dans
lequel lui aussi comparait MALAQUAIS à Céline :
" Mais quelle
différence entre MALAQUAIS et un autre écrivain
français, qui se rendit célèbre il y a quelques années par
un livre d'une crudité exceptionnelle ! Je parle de Céline.
Personne avant lui n'avait parlé des besoins et des
fonctions du misérable corps humain avec une telle
insistance physiologique. Mais la main de Céline est guidée
par une rancune aigrie, qui vise à rabaisser l'homme. "
(Année
Céline 1997)
* André
MALRAUX (écrivain, aventurier,
homme politique 1901-1976): "
Céline avait à dire des choses importantes. Il les a dites dans le
Voyage... Après,
il n'avait plus rien à dire. Il a recommencé. Mais l'expérience humaine
qui faisait la base solide du
Voyage relève de l'intensité
particulière de la névrose. Ce
qui s'est maintenu, ce sont les
moyens. Même dans les derniers romans, les moyens sont encore énormes.
On a alors l'impression d'un Rabelais qui n'aurait rien à dire mais qui
aurait toujours à sa disposition ces cascades d'adjectifs
extraordinaires.
Le
personnage de Céline après le
Voyage
est quelque chose à mi-chemin entre le talent d'expression d'un
artiste extraordinairement doué et la verve du chauffeur de taxi. Alors
que le
Voyage
c'est tout autre
chose : l'expérience de médecin
de banlieue qui était la sienne est une expérience humaine très
réelle... Son expérience coloniale n'était pas rien non plus... "
(Frédéric
Grover, six entretiens avec André Malraux sur des écrivains de son
temps 1959-1975, Idées, Gallimard, 1978).
* Arnold MANDEL (écrivain, auteur
d'ouvrages sur le judaïsme, 1913-1987):
(...) " Ce sont des familles où l'on cultive et " gère " l'inquiétude
tout au long des opiniâtres insomnies, insomnies dont précisément
Céline souffrira
durant toute son existence.
Psychose d'encerclement et continuels états d'alerte et de siège. Dans
le Voyage, l'impressionnante
description de l'ambiance
meurtrièrement hostile entourant Bardamu à bord de l' " Amiral Bragueton " est un morceau de littérature pour une anthologie juive
sur le thème du pogrome. La raison même que se donne la cargaison de
fonctionnaires pour justifier son désir de tuer est des plus
significatives en l'occurrence. Bardamu a payé son passage, alors
qu'eux ils bénéficient de la gratuité en fonction de vertus
essentielles et génériques.
La gratuité est identifiée ici avec la
grâce. Celui qui n'y a pas droit est
donc un disgrâcié, un paria. Ce que ses ennemis reprochent à Bardamu,
c'est d'acquérir par ses propres moyens, en payant, le droit
que les autres ont naturellement, et comme de naissance. Nous avons là
en résumé la pièce maîtresse de tout dossier antijuif moderne. Aussi
bien d'une telle expérience, et d'autres semblables, surgit un
aphorisme " sémitique " et " diasporique " en filigrane : " Quand la
haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite
convaincue, les motifs viennent tout seuls. " (Nord). "
(D'un
Céline " Juif ", L'Herne n°3, 1963).
* Félicien MARCEAU
(de
son vrai nom Louis CARETTE, auteur dramatique, romancier, scénariste,
membre de l'Académie française, 1913-2012) : " Je suis frappé par l'aspect musical
de cette écriture. Pour moi, il s'agit d'un chant d'opéra. C'est
peut-être pour cela que la signification est moins importante que cette
espèce de mélodie qu'il a su créer. Céline a une façon de désarticuler
la langue. Il l'utilise un peu dans tous les sens, mais en même temps
il la respecte.
Il n'y a pas de faute de grammaire.
Elle est à la fois correcte et désarticulée. Je me rappelle combien le Voyage
m'avait marqué, bien entendu. Maintenant, c'est une œuvre que je n'ai
pas suivie avec beaucoup d'attention, parce que je crois que
l'essentiel de ce qu'il donne est très rapidement perçu. "
(Le Quotidien de Paris, 12 janvier 1994).
* Victor
MARGUERITTE (romancier, auteur de " La
garçonne ", 1866-1942) :
" Point de vue du critique : il est nécessaire, au contraire, d'ouvrir
les yeux pour essayer de comprendre, d'abord, ce que nous voyons de la
vie. C'est au sol des faits, - et non dans la nue d'une histoire
fictive que (n'en déplaise à Littré et à
Louis-Ferdinand Céline) - tout bon roman prend ses racines. On ne sort
ici d'une pourriture que pour entrer dans l'autre. De la démence de la
guerre à celle de la paix. Et sur le tout une atmosphère de tinette et
de maison de fous... Et qu'est-ce que ce récit
soi-disant autobiographique où un médecin s'exprime comme un apache
mâtiné de paysan rocambolesque ?
Ou Louis-Ferdinand
Céline se moque, ou
il abuse du droit qu'à parfois le vrai de n'être pas vraisemblable. Il
n'y a pas de monotonie pire que celle de la violence et de l'absurde, à
jet continu. Ainsi l'œuvre de Louis-Ferdinand Céline fait-elle plus
que dégoûter, elle ennuie. Et avec cela, elle est pleine,
ici et là, d'heureuse verve ; elle porte les dons trop masqués, d'un
indéniable talent. Une mesure (démesurée) pour rien. "
(La Volonté, 6
novembre 1932, 70 critiques de Voyage... Imec Ed. 1993).
* Guy de
MAUPASSANT (écrivain,1850-1893): " Les lettres américaines sont en
retard d'environ 50 ans sur les
lettres
européennes - qui ont fait depuis un demi siècle leur maladie
naturaliste. MAUPASSANT n'offre plus pour nous actuellement aucun
intérêt - tout a été dit rabâché - en thèses, en des cours, en
controverses sur le sémillant nouvelliste. Je crois évidemment que les
romanciers américains sont encore à la traîne de MAUPASSANT -
cela leur passera.
MAUPASSANT a été l'inspirateur de l'article
" enlevé, sensible, pimpant " dont tous les journalistes actuels, du
monde entier, usent et abusent - Quant au fond même, il est nul. Comme
tout ce qui est systématiquement " objectif " - Tout doit nous éloigner
de MAUPASSANT - La route qu'il suivait, comme tous les
naturalistes, mène à la mécanique - aux usines Ford - au cinéma -
Fausse route ! "
(Lettres 2009, au critique américain Artine
Artinian, 26 août 1938).
*
François MAURIAC (écrivain, membre de l'Académie
française 1885-1970): Tout sépare Céline de ce romancier qui lui écrit
après lecture du Voyage au bout de la nuit et lui aurait rendu
visite rue Lepic. Céline ne s'y trompe d'ailleurs pas et lui répond
début 1933 : " - Vous appartenez à une autre espèce, vous voyez
d'autres gens, vous entendez d'autres voix. "
Plus
tard, une dédicace, envoyée début février 1950 au dos d'une
reproduction de la couverture de l'Illustré National après
l'intervention sans succès de Daragnès auprès de MAURIAC, est
fameuse : " - A François Mauriac / chrétien belle vache
pharisienne ! / Planqué des deux guerres - la plus vedette du
dictionnaire des girouettes - Grand ami du lieutenant Heller, et la
grosse saloperie Claudel d'Hispano ! / Mille merdes et mépris de Louis Ferd Céline / engagé volontaire des deux guerres / mutilé crevant 75 p
100 ! / médaillé militaire nov. 1914. "
(Bibliographie, 1 à 3, Tettamanzi, dictionnaire des personnages Gaël Richard,2009).
* Ou encore - " Mais oui MAURIAC
c'est entendu mais nous avons pensé tout ça 10 ans avant vous ! Oh
Canaille par tartufferie, messes noires, ou connerie on ne sait !
Résistance de quoi ? à quoi damné imbécile ? Vous avez fait venir les
Russes à Vienne, que n'iraient-ils jusqu'à Dax ! Allons dieu vous
dégueule pour être si bête, avec ou sans passage du Malin. / Ah
il n'est pas besoin du Malin pour vous voir bientôt pleurnicher
sur un nouveau Massilia en route vers d'autres jérémiades ! /
LF Céline. / Tout en signant bien sûr d'autres listes noires ! "
(Lettre
du 30 déc.1948, Lettres Pléiade 2010).
*
Véra MAURICE
(auteur d'une thèse de doctorat :
Dialogue des écrits médicaux de Louis Destouches Université Paris
VII, et de nombreux articles) : " ... Céline revient ici à la connotation
d'enfantement dans la douleur, qui signifiait, aussi, dans
Semmelweis, la
naissance de la musique dans les rues
hongroises. Ses mots sont des mots pour un
aveu qui dépend d'une transformation
langagière : "
Je dis donc que les miens,
bien englués dans l'inclusion tenace et
molle où je les place, sont tiraillés
jusqu'aux aveux
". Cs mots qui
partent "
du
dedans ", comme le dira Céline à
Médan, anticipent ses déclarations lors de
l'hommage à Zola et une position
psychanalytique qu'il définira par la suite.
Par là aussi, il rattache le romanesque à la
médecine et à la mort.
Tout étiquetage
" littéraire " se trouve dès lors écarté.
Céline ne s'identifie au livre que dans la
mesure où le livre présente la vie, telle
qu'il la conçoit à travers les mots. Un
livre n'a de sens que s'il cherche une
vérité ; et la vérité ne peut être énoncée
que par des mots qui vivent , par une
verbalisation comme tentative de
récupération d'une foi perdue : "
Qu'importe mon livre ? Ce n'est pas de la
littérature. Alors ? C'est de la vie, la vie
telle qu'elle se présente. La misère humaine
me bouleverse, qu'elle soit physique ou
morale. Elle a toujours existé, d'accord ;
mais dans le temps on l'offrait à un Dieu,
n'importe lequel. Aujourd'hui, dans le
monde, il y a des millions de miséreux et
leur détresse ne va plus nulle part. Notre
époque, d'ailleurs est une époque de misère
sans art, c'est pitoyable. L'homme est nu,
dépouillé de tout, même de sa foi en lui.
C'est ça mon livre ".
(BC n° 269, nov.
2005).
* André MAUROIS (né Emile, Salomon,
Wilhelm HERZOG, écrivain, 1885-1967) : " Cela fait plusieurs mois que
j'ai eu l'occasion de découvrir pour les lecteurs du
New York Times
un nouveau venu de grand talent. Mais enfin, j'en tiens un. Il a publié
son premier livre à l'âge de 28 ans et il s'agit, non d'un chef -d'œuvre, mais d'un ouvrage très étrange et très original. Le
titre est Voyage au bout de la nuit. Le sujet : un discours à la
première personne d'un homme du peuple, dans une langue remplie
d'argot, dans un ton qui rappelle les monologues de Joyce, mais avec
beaucoup plus de continuité et beaucoup moins d'attention à la minutie
du détail.
(...) J'ai essayé de découvrir l'identité de l'auteur. Il signe
Louis-Ferdinand Céline mais il s'agit d'un pseudonyme, celui d'un
docteur qui s'occupe de tuberculeux dans la banlieue de Paris.
D'origine humble, il a fourni beaucoup d'efforts pour achever ses
études médicales. Il s'est battu durant la guerre ; puis, en tant que
médecin, il a été chargé de mission en Afrique et en Amérique pour la Société
des Nations. Ainsi, il a été en mesure de voir par lui-même les
mondes qu'il décrit. "
(Un nouveau talent dans le roman français, New
York Times, 20 nov.1932, 70 critiques de Voyage... Imec Ed. 1993)
* Jean-Pierre MAXENCE (pseudonyme de
Pierre GODME,
écrivain, journaliste
1906-1956) : " Mea culpa par
le contenu comme par la
forme, est un ouvrage inclassable. (...) Je ne
crois pas qu'on ait rien
écrit de plus terrible et de plus juste sur la condition humaine en
U.R.S.S. Ce qui, en effet, me semble capital dans le témoignage de M.
Louis-Ferdinand Céline, c'est qu'il ne porte pas seulement sur tels
faits, telles misères, tels abus, si
symptomatiques fussent-ils, mais sur l'ensemble et sur l'esprit.
L'homme est misérable en U.R.S.S., il est opprimé, il est vaincu ?...
Nous le savions. Mais ce qu'il faut
relever clairement, c'est qu'il n'est si opprimé si misérable,
tellement vaincu, que parce que là-bas règne le marxisme. Une doctrine
inhumaine lorsqu'elle se trouve appliquée fait
des morts, des cadavres et des morts vivants ! Qu'on ne s'y trompe pas.
Il ne s'agit pas seulement de condamner l'U.R.S.S., ou le stalinisme,
ou telle institution de là-bas. Ce qui sombre dans l'immonde
catastrophe, c'est un esprit, le matérialisme historique, et une
doctrine, la doctrine marxiste. On sait gré à M. Louis-Ferdinand Céline
de l'affirmer, le désespoir au cœur peut-être, mais avec éclat. " Il
ne
s'agit pas d'une analyse, mais d'un cri
(in Gringoire, Paris, 29
janvier 1937).
* Guy
MAZELINE
(1900-1996, écrivain, romancier, lauréat du Goncourt 1932
avec Les Loups) : " - Ah ! croyez-moi, cher monsieur,
me dit-il, sans hargne, mais avec une vraie tristesse,
jamais je ne me débarrasserai de ce nom-là !
- Faites l'expérience. Prononcez en société le nom de
MAZELINE et il y aura bien quelqu'un qui immédiatement
s'exclamera :
- Ah ! MAZELINE, oui, oui, c'est Céline !
Cruel
raccourci qui signifie : " Ah ! MAZELINE, c'est lui
qui a eu le prix Goncourt contre Céline... "
- Enfin quoi ! ce n'est tout de même pas ma faute !
s'exclame trente-quatre ans après l'auteur des Loups
(prix Goncourt 1932). Il y a encore des gens qui m'insultent
à cause de ça et pourtant ils ne me connaissent pas et même
ils ne m'ont jamais lu. Sa position de martyr a donné une
figure supplémentaire à Céline et l'on ne m'en accable que
davantage, comme si j'étais responsable du choix des
académiciens Goncourt. C'est une étiquette qui m'est restée
accrochée au dos. C'est très déplaisant.
Vous ne pouvez pas savoir, disons, le préjudice que j'ai
subi. Je pourrais bien écrire dix chefs-d'œuvre...
Il n'empêche que l'on continuerait à dire... Cette
comparaison est assommante et malhonnête. On n'a pas vu le
romancier que j'étais à cause de Céline et j'en ai toujours
été gêné dans mon éclairage véritable. Je vous assure :
c'est une histoire horrible, une sottise épouvantable.
- Autrement dit, pour vous, ce ne fut pas une chance d'avoir
le Goncourt ?
- Ah non ! sûrement pas. Ce fut même une épouvantable
malchance. Evidemment, un an avant, ou un an après, et c'eût
été très bien. Mais voilà, en 1932, il y avait Céline ! "
(Anonyme,
Guy Mazeline, victime du Goncourt de Céline et de l'opinion
publique, Le Figaro littéraire, 16 mars 1967).
* Enrique
MEDINA (romancier et journaliste
argentin) : " A quinze ans, je lisais des polars, des trucs plein de
sexe et de violence. Brusquement j'ai décidé de lire des trucs sérieux. Pour moi ça voulait dire des livres
gros et ennuyeux. Je suis allé chez un libraire d'occasion et j'ai
piqué le plus
gros que j'ai trouvé. C'était le
Voyage au bout de la nuit et
j'ai eu la
satisfaction de découvrir Céline tout seul. J'ai commencé à
changer, c'était le bon moment, je n'en pouvais plus d'incroyance; je
me suis repris, mes convictions se sont affirmées.
On dit qu'il était égoïste, cynique, féroce, blasphématoire,
misanthrope et tout ce que ses ennemis voudront lui reprocher. Oui. Et
il avait aussi le courage, comme personne, de montrer les parties
honteuses et les ulcères sous-jacents dans une société hypocrite et
corrompue. Il commit l'erreur d'être ouvertement honnête. Son
ressentiment, sa férocité, sa dénudation ont produit la littérature la
plus révolutionnaire de ce siècle. "
(La Vengeance Editions
l'Harmattan,1992).
* Michel-Georges MICBERTH
(éditeur, pamphlétaire
et écrivain): " C'est vrai que Ferdine me barbe aujourd'hui, bon, je ne
remets pas en question la passion qui a été la
mienne, ni même l'apport considérable de cet écrivain
à mon œuvre propre, si œuvre il y a. Je ne reviens jamais à des
sentiments meilleurs. Je suis né tête de con. Je vous devais cette
vérité. Sans littérature.
Voilà qui est fait. "
...et dans une lettre
précédente... venant à résipiscence : " Pour en revenir à
Céline... je crois qu'il faut dire la vérité et oublier les nuances. Il
est incontestablement l'un des plus grands écrivains d'expression
française. Mort à crédit est pour moi LE chef -d'œuvre du
siècle. Point. "
(BC décembre 1992).
* Personne ne peut
aujourd'hui oser prétendre sans faire sourire que le docteur
Destouches est un écrivain du second rayon, épiphénomène
d'une
période troublée, ludion des
lettres porté par d'irréductibles réactionnaires ou conchié
par d'extralucides progressistes. Savoir si Céline fut le
plus grand n'a aucun intérêt, c'est du domaine de la
subjectivité. ce que l'on peut affirmer sans se tromper
c'est sa dimension universelle, son éblouissante importance
dans le temps et dans l'espace. »
(Micberth
in Histoire locale,
printemps 1998)
*
Pierre MICHON (écrivain): " Considère Mort
à crédit comme le livre parfait... "
(Le roi vient quand il veut. Albin Michel
2007).
*
Isabelle MILKOFF
(auteur d'une thèse
de doctorat,
L'influence du style parlé sur la narration
romanesque de trois romanciers contemporains
: Céline, Genet et Giono, Université
de Paris VII, 1995):
" ... Le second
parallélisme est celui qui rapproche trois
auteurs différents et singuliers. Eloignés
les uns des autres, les trois écrivains se
sont aussi tenus à l'écart des courants
littéraires de leur époque et ont clamé,
souvent haut et fort, leur irréductible
originalité. Or, non seulement cette thèse
confronte leurs œuvres, du moins celles
parues autour de 1950, mais elle replace
celles-ci et leurs auteurs dans l'histoire
littéraire. Les textes retenus manifestent
une double rupture - rupture avec le
français académique comme unique terreau du
style et rupture avec les codes narratifs
traditionnels sentis, voire dénoncés, comme
obsolètes.
Les
théories qui,
dans la décennie suivante, guideront
certains écrivains-théoriciens du Nouveau
Roman sont en quelque sorte déjà à l'œuvre
dans les romans pris en compte ici : mort de
la fiction, de l'intrigue, des récits
structurés soumis à la narration de
celle-ci, refus de la vraisemblance, du
personnage pittoresque, etc., constituent
dans les œuvres étudiées autant de
résultantes d'une narration éclatée,
fragmentée et fragmentaire. "
(Soutenance
2 déc. 1995, l'Année Céline 1995).
* Henry MILLER
(romancier américain 1891-1980): " Céline m'a fasciné. Quelques années
plus tard je l'ai relu, cette fois en anglais. Ce n'était pas la même
chose. Céline est intraduisible. Poussé par mon enthousiasme pour
Céline, j'ai essayé de l'interpréter à mon instructeur. Mais il était
obstiné. Rien ne pouvait le convaincre qu'un auteur qui écrit dans un
tel langage méritait d'être lu... Malgré mon
admiration pour Céline, je ne l'ai jamais rencontré. Même pendant la
période quand j'habitais Clichy. "
(10/18, J'suis pas plus con qu'un
autre, réédition, 1993).
*
"
L. F.
Céline: " Au confrère : - Je vais être bien
content à lire votre Tropic. - Déjà ce que j'ai parcouru
m'intrigue et me donne bien envie de tout connaître. Puis-je me
permettre une toute petite indication dans un genre que je connais
assez bien. Soignez bien votre discrétion. Toujours plus de discrétion
! Sachez avoir tort - le monde est rempli de gens qui ont raison -
c'est pour cela qu'il écœure. - Bien à vous. L.-F. Céline. "
(Lettre à Henry Miller, suite à la réception de " Tropic
of Cancer ", octobre 1934).
*
" Dans la première partie, on lira avec
émotion huit lettres de prison à Marie Canavaggia. Le
superbe talent épistolaire de Céline s'y déploie à
merveille. Ainsi, cette formule finale dans une lettre
consacrée à Henry MILLER : " Notre vieux cheval
naturaliste peinturluré américain, harnaché zazou peut
encore faire des drôles de recettes ! " Ou bien encore "
C'est le débraillé conventionnel du Montparnasse
américain, l'épaté de Kansas City, pourri de littérature. "
(Revue d'actualité célinienne, L'année 1992, dans BC
n°135, déc. 1993).
*
" J'ai adoré les œuvres de
Céline et je lui dois beaucoup. (...) Céline vit en moi, il
y vivra toujours. "
(L'Herne 3, 1er octobre 1962).
*
Richard MILLET (romancier, essayiste, éditeur chez
Gallimard) : " Céline n'est vraiment " subversif " (si tant
est que cette épithète soit pertinente) qu'à partir de Mort
à crédit, quand, après deux paragraphes d'une beauté
mélancolique, et somme
toute traditionnelle (il y a chez tout écrivain le besoin de
s'inscrire dans la tradition la plus haute, ou de montrer
qu'on en est capable), il écrit ceci : " Je n'ai pas
toujours pratiqué la médecine, cette merde. " " Cette
merde " est non seulement le coup de couteau donné à une
toile qui menaçait d'être trop bien léchée, mais aussi aux
conventions littéraires dont l'académisme français du XXe
siècle marquait le triomphe. Avec " cette merde "
commence non pas l' " accident du tout à l'égout "
dont parlait Gracq, mais le branchement sur le grand
collecteur de l'âme humaine.
Les temps ont changé - mais pas le goût ; or il est possible
que " cette merde " relève du goût même. C'est un
médecin qui parle, et un médecin des pauvres. La faute de
goût érigée en principe ? Non. C'est par son vocabulaire que
Céline déchire la prose pompier de son temps, et non par sa
syntaxe, tout juste tintinnabulante (et pas aussi musicale
qu'il le voulait, et parfois même antimusicale au possible)
; mais c'est aussi par ce vocabulaire qu'il vieillit, à
cause de l'argot et, dans sa trilogie finale, d'un surplace
autoréférentiel lassant, reconnaissons-le, qui fait
ressembler l'auteur à un ours blessé au milieu d'une meute
dont les aboiements universels recouvrent la singularité du
drame. "
(L'enfer du roman, Gallimard, 2010, BC n°329).
* Francis
de MIOMANDRE
(né François Félicien
DURAND, écrivain 1880-1959) : " Il s'est passé que les Dix ont eu peur,
peur d'eux-mêmes et de
l'étendue de leur responsabilité. Chacun d'eux, en
particulier était parfaitement convaincu que l'ouvrage
de M. Céline
était, avec tous ses défauts, une chose formidable, une chose de
première ordre regorgeant de force et de saveur. Mais, dans l'ensemble,
ils constituent une Académie, c'est-à-dire une sorte de personnalité
composite et nouvelle, dont le prestige est immense, et surtout
mondial. Et cette personnalité n'a pas osé prendre sur elle de
recommander à l'univers entier un livre aussi résolument cynique et
truffé de termes orduriers.
Autrefois, peut-être, ils l'eussent fait sans
arrière-pensée, car leur " audience ", comme on dit, était beaucoup
plus réduite. Mais, aujourd'hui, ils sont ou se croient obligés de
penser aux préjugés du public, qui, paraît-il, admet toutes les audaces
(voyez le freudisme, etc.) pourvu qu'elles ne soient pas dans
l'expression. Ils se sont dit que, s'ils obéissaient à leur conscience,
ils risquaient de créer une sorte de scandale. Et je dois dire que ça
n'aurait pas manqué. Connaissant, comme je la connais, la majestueuse
imbécilité des chroniqueurs des grands journaux - et des petits aussi,
hélas ! - je pourrais d'avance vous dire ce qu'ils eussent
infailliblement écrit là-dessus. Moi, je trouve cela infiniment
comique. Car enfin, nous parlons tous comme le héros du Voyage au bout de la nuit, quand
nous sommes
entre hommes, reconnaissons-le sans hypocrisie. C'est même une de nos
traditions, et qui possède une antiquité vénérable. Alors ? alors
pourquoi en rougir devant les Tchèques, les Américains ou les Lettons ?
Qu'est-ce qu'on risquait ? "
(La Peur
des gros
mots, Fantasio, 1er janvier 1933, 70 critiques de Voyage... Imec Ed.
1993).
*
Patrick MODIANO (romancier, prix Goncourt) : " Céline
était un véritable écrivain juif. C'est très juif, ce qu'il
écrit Céline... On ne peut pas être plus juif dans la
manière...
Au fond le plus grand écrivain juif par le style, le ton,
n'est pas juif... Il est même antisémite... "
(Le Figaro Littéraire, 5 mai 1968, dans Spécial Céline n° 8, E. Mazet).
* Armin MOHLER (écrivain politique proche du
GRÈCE,
universitaire, journaliste 1920-2003) : " Nous lui avions apporté une bouteille d'un vieux Pommard,
très précieuse. Il a refusé d'un geste ennuyé : "
Buvez-là à ma santé - je ne me
nourris plus que d'eau et de nouilles ". La conversation
traîne péniblement en longueur. (...) Mais soudain, une idée diabolique
me vient à l'esprit. J'ai dit à Céline qu'il nous avait reçu fort
aimablement mais que je ne voulais pas lui dissimuler que j'avais été
le secrétaire de Jünger. L'effet de cette divulgation fut étonnant.
Pour
la première fois, Céline lève la tête, il
me regarde droit dans les yeux. De sa bouche s'écoule alors
un flot de gros mots, prononcés à froid, un flot de ces gros mots si
nombreux dans ses livres. Il répétait sans cesse deux expressions : "
Ce petit Boche... cette espèce de flic. " (...) Nous prenons congé.
En ravalant notre salive et en nous raclant la gorge face aux horribles
chiens qui nous fixent, nous quittons le jardin négligé, et les propos
de Céline nous repassent dans le crâne, notamment quand j'avais utilisé
l'expression " Les Français ". " Les Français ? ", avait-il
dit en riant de sa voix cassée, " mais ils n'existent plus ! Je
suis le dernier Français. "
(Texte repris de Von rechts gesehen,
Stutgart, 1974, BC n°245 sept. 2003).
* Michel MOHRT
(écrivain, essayiste, romancier, académicien, 1914-2011) : " Le Voyage au bout de
la nuit que j'ai lu avant la guerre, bien sûr, m'avait
enthousiasmé. J'ai trouvé que c'était un livre extraordinaire, surtout
les amours de Bardamu à New-York. La description que fait Céline de
cette ville où j'ai vécu par la suite compte parmi les pages les plus
émouvantes et les plus belles que j'ai lues sans aucun doute. C'était
un chef -d'œuvre de style, une nouveauté étonnante à l'époque.
Par
contre, je suis moins enthousiaste sur les derniers livres de Céline.
J'ai comme l'impression que le style s'est un peu durci dans ses tics
d'écriture, que les tics se sont accentués. Les points de suspension et
les points d'exclamation...C'est peut-être devenu une sorte de procédé
vers la fin. Ils rendent à mon oreille un peu le même son que Finnegans
Wake de Joyce."
(Le Quotidien de Paris, 12 janvier 1994).
* Jean-Baptiste POQUELIN dit MOLIÈRE
(dramaturge et acteur de théâtre, baptême
1622-1673) : " Harpagon raisonne trop à mon gré... Je délire de
joie chez MOLIÈRE lorsqu'il danse, le Bourgeois, le Sicilien . "
(Lettre à M. Hindus, 12 juin 1947).
* " Je
ne vois rien de plus délectable, dans MOLIÈRE, ses plus divins actes, que les parties ballées
chantées... C'est l'achèvement, c'est la suprême joie par dessus tout !
Joie d'en finir ! Les anges enlèvent, précieuses, cocus, martyrs et
rigodon ! Au ciel des enfants ! "
(Version
C de Féerie pour une autre fois, in Romans IV, appendice IV,
p.880).
*
Georges MONTANDON (médecin, anthropologue et explorateur
d'origine suisse, 1879-1944) : " Scientifique maudit
auquel Céline ne craignit pas de rendre hommage dans
Féerie pour une autre fois : " Il ne savait pas rire
MONTANDON, il était gris de figure, de col,
d'imperméable, de chaussures, tout... mais quel bel esprit !
tout gris certes ! pas une parole plus haut que
l'autre ! mais quelles précisions admirables ! " MONTANDON a payé cher son engagement politique. Dans les
années 1920, il avait de la sympathie pour les bolcheviques.
Il écrivit dans L'Humanité. Son évolution, qu'il
partagea avec nombre de socialistes et de communistes, le
conduisit à adhérer au PPF. Devenu farouchement antisémite à
partir de 1938, il créa en mars 1941 la revue L'Ethnie
française. Comment reconnaître et expliquer le juif ?
(éditée par Les Nouvelles Editions Françaises, dont
le principal actionnaire était Robert Denoël ). MONTANDON
faisait référence, à l'appui de ses thèses, à Jules
Michelet, Mistral, Guy de Maupassant, Ernest Renan, Thiers,
Toussenet, Voltaire, Emile Zola...
(Pierre Vial, dans BC
n°292 ).
* " Georges
MONTANDON est une référence importante pour Céline, et
pas seulement d'un point de vue idéologique à cause de son "
ethno-racisme ". Il est jusqu'à un certain point, comme
Raoul Marquis ou Edouard Bénédictus, un de ces hommes, plus
âgés que lui, qui le fascinent par l'étendue et la diversité
de leurs connaissances, par la pratique d'une sorte de
bricolage intellectuel, et par une carrière hors-norme. "
(Henri Godard, in Romans IV, La Pléiade, 1993).
* Annie MONTAUT (Maître de
Conférences à Paris X
Nanterre, professeur Hindi/linguistique) : " A peine posée, la vrai
question est éludée.
Faute d'un peu d'espérance, la critique pourtant lucide, tombe dans un
pragmatisme
prêt à toutes les démissions politiques. En réaction contre la foi
utopique, le " positivisme " pur de toute foi, jouant la scientificité du
réel vérifiable, chavire dans un réactionnarisme général qui ne saurait
être relevé par les propositions pseudo-révolutionnaires comme les
médecins volants ou autres mesures " sociales ".
Quant à la crasseuse " inertie populaire ", son explication est éludée,
et la prise en compte de la question, fondamentale, est réduite comme
une hypocrisie et une idiotie.
Quelques années plus tard, Céline
s'explique à Elie Faure de cette inertie populaire : " - Une conscience
populaire ? Vous rigolez mon ami ! Il n'y a personne à gauche, voilà la
vérité. La pensée socialiste, le plaisir socialiste n'est pas né... S'il
y avait un plaisir de gauche, il y aurait un corps. Nous devenons
fascistes, tant pis. "
(Actes du
Colloque International de La Haye,
25-28 juillet 1983, p.70).
*
Paul MORAND (nouvelliste, romancier, diplomate
1888-1976) : " Céline fut toujours seul ; ce n'est pas un médiéval attardé qui a la nostalgie du XIIIe siècle, c'est un homme moderne, dans la
solitude des foules, puis des guerres, puis des migrations. Il n'a pas
d'ancêtres, ne se réclame ni de Bloy, ni de Péguy, ni de Drumont. Il
n'a pas d'amis, sur terre ni au ciel. Ce n'est qu'un médecin de
quartier, et pas le quartier du paradis. Il ne possède que sa femme et
son chat ; il n'a jamais eu à renier de parti, n'en ayant pas ; ni de
maître, étant son maître. Son confesseur, c'est le lecteur. Il est
parfaitement libre. Un homme libre, cela se reconnaît à ce qu'il finit
au cachot.
" Le monde a le feu dans les soutes et va probablement sauter.
" Bernanos l'a dit, mais Céline l'a vécu, l'a hurlé, comme une bête
blessée qui va mourir dans la neige de son exil. Que l'exil à gauche
est doux, auprès du sien : de Calvin à Genève, de Hugo à Guernesey,
avec mains tendues et bras ouverts ; aucune université américaine pour
offrir une chaire à Céline. Le voici dans le silence posthume, après
l'autre ; il ne suce pas ce sein rebondi qu'est la coupole du Panthéon
; c'est un pauvre chien d'aveugle qui
s'est fait écraser, tout seul, pour sauver son maître infirme, cette
France qui continue à tâter le bord du trottoir. "
(Céline et
Bernanos, L'Herne n°3, 1963).
* Jacqueline MORAND-DEVILLER (agrégée de
droit public et science politique, diplômée de Sciences Po, professeur
à l'Université Paris I, auteur de nombreux ouvrages juridiques) : " Le
premier pamphlet de Céline ne
témoigne pas de prises
de position racistes. Les principaux thèmes antisémites de l'époque y
sont évoqués abondamment, traités sur un mode apparemment ironique qui,
en d'autres circonstances, n'aurait pas fait prendre l'auteur au
sérieux. Le thème central de l'ouvrage est la dénonciation de l'état de
décadence de la France, sa grande singularité et ce qui, dans une
relative mesure, peut permettre quelque indulgence à l'encontre de
Céline antisémite, c'est que les Aryens, non les Juifs, y sont les
principaux accusés. Cette démarche est insolite.
L'antisémitisme classique, s'il ne ménage pas ses attaques contre
l'état désastreux d'un pays en rend responsable les Juifs. Aux défauts
juifs il oppose victorieusement les vertus aryennes. Céline non
seulement rend les Aryens responsables de l'emprise juive, mais il les
accable de tares tout aussi graves et les dépeint sous des traits tout
aussi cruels : " le Blanc, le Français surtout, exècre tout ce qui lui
rappelle sa race ".
(Les idées politiques de L.F.Céline, Pichon et
Durand, Auzias,1972).
*
Florent MORESI (à qui nous devons la couverture du n°
0 du BC paru en 1981, et une participation active aux
Journées Céline à Paris durant de nombreuses années,
1926-2014) : "
Grâce aux recherches de Florent MORESI, nous
connaissons bien maintenant
les
conditions de ce départ. (...) Céline embarqua le 15 avril
1938 sur Le Celte, petit cargo mixte de 907 tonneaux,
commandé par le capitaine Jean-Marie Eneault, et qui n'avait
à son bord que trois autres passagers : René Haran, aussitôt
appelé " le hareng " par Céline, Mme Elisa Allain, native de
Saint-Pierre, et sa fille Jeanne, aujourd'hui Mme
Allain-Poirier, alors âgée de dix ans et que Céline appela "
la sardine ".
Chose peu banale, Florent MORESI retrouva cette dame, correspondit avec
elle, l'incita à rédiger ses mémoires et, mieux, se rendit,
sur les traces de Céline dans cet unique territoire français
situé en Amérique du Nord. Florent MORESI n'en était
pas à son coup d'essai puisque c'est également lui qui, au
tout début des années 1980, révéla que Céline n'avait pas
fait la une de L'Illustré National comme on le
croyait alors mais que cette gravure en couleurs figurait en
dernière page de couverture de ce périodique. Cette
découverte remonte à une époque où les céliniens n'avaient
encore jamais vu le numéro de cette revue mythique et se
laissaient abuser par le montage encadré qu'en fit le père
de Louis Destouches. "
(M. L. Salut à Florent MORESI, BC
n° 290 oct. 2007).
* Emmanuel
MOUNIER (philosophe,
fondateur de la revue Esprit,
1905-1950) : " Si j'entends bien l'intention de l'auteur, ce livre
signifie : petit travail
sans valeur pour exciter les gens au meurtre.
C'est que Céline ne se leurre ni sur la médiocre qualité de ses
arguments, ni sur les funestes passions qu'ils peuvent cependant
éveiller ; il l'avoue, avec cette
lucidité amère et cynique qui nous avait émus dans son premier ouvrage.
Or, le livre, cette fois, ne tient pas ce que la réputation promettait
: la langue reste nerveuse, cruelle, épaisse, ordurière et colorée,
mais le témoignage direct, l'observation personnelle font défaut.
Le
personnage célinien n'est plus
ce grotesque pitoyable dont l'anathème montait des bas-fonds vers
l'écrasante machine sociale ; il siège maintenant avec les maîtres ;
c'est autour de lui, mais en dehors de lui, et nettement en dessous de
lui que s'agite tout ce monde de serviles,
de lâches, d'alcooliques, de critiques littéraires, de démocrates, de
métèques et de Juifs. "
(Bagatelles
pour un massacre, L'Herne n°5,
1965).
*
Arthur MUGNIER (Abbé MUGNIER, curé mondain, confesseur
et ami du Tout-Paris littéraire et du faubourg
Saint-Germain, 1853-1944) : " 18 janvier [1933]. - Hier
déjeuné chez les Descaves avec leur fils Max, Céline et sa
mère, le peintre Vlaminck. Céline fut tout de suite simple,
gentil, bon enfant avec moi. Je lui dis que certains
mystiques avaient parfois le langage très raide. Il ajouta
que les vieux prédicateurs leur ressemblaient sous ce
rapport. Ce fut à table un véritable feu... et fumée d'artifices.
Céline parle facilement, tumultueusement, on sent le peuple,
gamin. Il mime bien ses personnages, les fait parler
avec
toutes les répétitions nécessaires et beaucoup de hein. Il
n'épargna pas mes oreilles de prêtre : pognon, couillon,
putain, carne, truc, vache ; les verbes : enfiler, emmerder,
bouffer, coucher avec, se succédaient. Il a été à Berlin et
nous dit que le peuple allemand est anarchique. Il est
impossible qu'il fasse la guerre en ce moment. Il a peur des
communistes et cette peur nous protège contre la guerre. Il
a été à Breslau, ville de charbon dont il nous a fait une
affreuse peinture. Il y a été, dit-il avec une copine (car
c'est son habitude, dit-il). Un Moyen Âge
horrible.
Vlaminck lui a demandé s'il continuerait à écrire sur les
sujets qu'il traite, il a répondu qu'il restera dans le
milieu dont il a décrit toutes les horreurs. Il croirait
déserter s'il en était autrement, il a besoin de ce
milieu-là pour penser. Vlaminck lui a demandé pourquoi il
n'avait pas tiré une leçon de ce qu'il avait vu et décrit, à
quoi Céline lui a répondu : " On ne livre pas son secret,
c'est à chacun de tirer la leçon. C'est comme un tableau.
" Il aime Breughel, en a parlé à plusieurs reprises. Il
en a vu d'admirables à Vienne, des fêtes paysannes, un
garçon qui coupe une miche... il nous a dit l'ignominie du
peuple qu'il connaît, plus vicieux encore que les gens de la
société, il est pire dans ses excès. [...] J'ai fait signer
deux exemplaires du Voyage au bout de la nuit. Céline
s'y prête avec très bonne grâce, sur la table de la salle à
manger, le premier destiné à la comtesse de Castries, le
second pour moi avec ces mots : " A M. le Chanoine MUGNIER,
notre compagnon d'infini, bien amicalement et
respectueusement. "
(Abbé Mugnier, Journal (1879-1939),
Paris, Mercure de France, 1985, p.531).
*
Jean-Paul MUGNIER (éducateur,
thérapeute Familial, directeur de l'Institut d'Etudes Systématiques) : "
Dès lors,
j'entrepris de lire tout Céline. J'étais à l'affût du moindre
article, de chaque émission qui lui étaient consacrés. Je m'étais senti
trahi et ne pouvais admettre qu'il soit cet homme mauvais, haineux
qu'il s'était efforcé de paraître en vieillissant. Le temps passa.
L'écrivain, s'éloignant de mes préoccupations, gardait son mystère. J'avais moi-même besoin
d'écrire, pour tenir une promesse que je m'étais faite enfant. Et c'est
à l'occasion de la publication des Stratégies de l'indifférence,
livre dans lequel je consacrai un chapitre à l'Etranger de
Camus, que j'eus envie de me replonger dans l'univers célinien.
Relire Mort à crédit près de vingt-cinq ans plus tard me
permettrait-il enfin de trouver une réponse à mon questionnement
d'adolescent ? Je pris le livre, me remis à la lecture et, presque
stupéfait, y retrouvai, au fil des pages, toutes les observations
cliniques recueillies depuis des années dans la prise en charge des
enfants abusés. (...) La lecture de Céline est affaire d'émotion.
Au-delà de ma compréhension de l'écrivain, c'est l'émotion qu'il a
suscitée en moi que j'espère partager avec le lecteur. Une émotion
semblable à celle que fait naître la prise en charge des enfants
maltraités. "
(Extrait de L'enfance meurtrie de L.F.Céline, éd.
L'Harmattan, BC n°216, janv. 2001).
* Philippe MURAY (essayiste et romancier,
1945-2006) : " Alphonse Juilland est l'inventeur
d'Elizabeth Craig au sens ancien de ce mot désignant celui qui trouve,
qui retrouve quelque chose, un trésor, un monument enfoui, un objet que
tout le monde imaginait perdu à jamais. Il y avait une Belle au
Bois Dormant, dans l'histoire de la littérature française moderne,
c'était cette danseuse que la plupart des céliniens - et Céline
lui-même - croyaient disparue pour toujours.
Juilland seul ne s'était pas résigné. Je
me souviens de ma rencontre avec lui, en 1983, sur le campus de
l'Université de Stanford : tout de suite il m'avait confié sa quasi
certitude que la dédicataire de Voyage au bout de la nuit
n'était pas morte, qu'elle vivait encore, quelque part, dans
l'immensité des Etats-Unis, et qu'il allait la retrouver. "
(BC, juillet 1994).
* David NAHMIAS (romancier, nouvelliste, poète,
auteur de pièces de théâtre) : " Adossé à l'ambulance, je les ai vus du
fond de la rue, le docteur et Lola. Il n'y avait que ça dans la
valoche.
Ça s'envolait, tournoyait,
valsait à tout va, et de pirouettes en moulins à vent, elles ont inondé
la nuit, les feuilles. - Mon Casse-pipe ! Mon Casse-pipe
! Lola aide-moi. Il y en a jusqu'à là-bas !... Antoine !... Ça s'envole ! - Ah ! Oui ! pour s'envoler ça
s'envolait. De voir toutes ces feuilles en larmes dans le noir, la
blouse blanche du docteur qui naviguait au beau milieu, Lola
papillon de lune dans le tourbillon, on aurait cru un ballet
imaginaire, une farce irréelle. Je m'y suis mêlé aussi. J'ai complété
le tableau en les aidant à toutes les capturer, les feuilles mortes.
Tant que j'ai pu, j'en ai saisi des fugueuses, qu'aucune ne s'échappe.
Elle n'en revenait pas la nuit de la valse païenne.
- Mon Casse-pipe
! qu'il continue à s'étrangler. Jamais Gaston me pardonnera. Un siècle
qu'il me le réclame. Gâchis ! Lola tout en ramassant la paperasse il
lui est monté du cœur du ventre un rire inopiné. Il a dégringolé
d'abord en cascade de sa gorge et puis clair, limpide, terriblement nu,
a éclaté en trouant la nuit d'un coup de semonce à nous crever de
honte. Nous n'osions plus en ramasser encore des voltigeuses tellement
elle nous est apparue risible la situation. - Je t'en prie Lola, qu'il
supplie. Et puis il m'explique le Casse-pipe. Son dernier
roman, deux ans de travail, mille nuits d'insomnie et de migraine,
jamais satisfait, tout réécrire, et puis, là, un courant d'air et ça
s'évente comme de la pelure de chiotte. Injuste ! "
(Bal-Trappe,
L'Ether Vague, Patrice Thierry, 31400 Toulouse,1993).
* Lilika NAKOS (romancière, journaliste grecque
1899-1988) : " Lausanne, le 25 sept 1949 / Mme Lilika NAKOS, 13
rue
Florimont. / Cher Monsieur, / Cette lettre n'a qu'un but : vous
exprimer (dans un mauvais français dont je vous prie d'être indulgent)
toute mon admiration pour votre génie ! Exprimer mon admiration
profonde à vous et à votre femme ! Bien avant la guerre, quand j'ai lu
votre premier livre, puis votre second, j'ai crié au miracle ! Quel
grand écrivain français ! J'étais à bord d'un navire français quand
j'ai dit mon opinion à quelques Français, ils m'ont
traitée... de... folle et depuis ils ne m'ont plus reparlé !
Tant pis, me dis-je !
Rentrée en Grèce, qui est mon pays, je racontais partout ce que sont
vos livres. Ils ont eu le plus vif succès. Je ne faisais que parler de
vos livres avec enthousiasme. Je me disais que dans 4000 ans, si
l'Europe périt et (que) par hasard on découvre le génie de Céline dans
les décombres, on aurait (sic) sauvé 2 chefs -d'œuvre qui (à) seuls
mériteraient le génie de l'Europe !!
(L'Enfer des gosses. Douze
récits du temps de misère, Lausanne, Ed. Spes, 1949, BC n°314,
déc.2009).
* Colin W NETTELBECK (éditeur australien
des Lettres à des amies Cahiers Céline n°5, 1979) : "
Si le but de l'écriture célinienne est avant tout moral,
éthique, les moyens par lesquels il associe le lecteur à son
jeu ne peuvent qu'être
esthétiques. Pour être efficace le médecin de l'esprit doit
être poète : " ... la chanter qu'il faut l'ordonnance ! la
leur faire apprendre par cœur ! en chœur ! vous pareil !
Le trop concret, sans note avec, vous évadez ! votre nénette
dérobe !... Je vous retrouve plus !... Il faut tout vous
chanter ! rechanter ! " (F1, 174). L'idée du chant
fait valoir le côté direct et affectif du style célinien, la
" petite musique " qui accroche le lecteur en lui donnant
l'impression d'une voix qui parle dans sa tête (EY, 122).
Mais soulignons que Céline ne chante
pas pour le plaisir : au contraire, c'est pour assurer son
emprise sur le lecteur et pour le diriger vers les
souterrains de l'émotion et du rêve. Le chant est ainsi une
espèce de drogue - on pense aux 2 cc de morphine avec
lesquels le narrateur traite Mme Niçois - , un moyen de
mettre le lecteur dans une position de dépendance à l'égard
du narrateur. Notre propre appareil psychique et affectif
devient l'instrument dont le romancier joue, et nous nous
identifions, non seulement avec le narrateur ou avec l'un ou
l'autre des personnages, mais avec tout le mouvement du
récit. Par cette identification, nous pouvons participer au
processus de transformation. "
(Ecriture et esthétique 2,
Lettres Modernes, Minard 1976).
* Marie NIMIER (écrivain,
deuxième enfant de Nadine et Roger NIMIER, prix Médicis en
2004 pour La Reine du silence) : " Les lettres de mon père
étaient an nombre de 56. Elles étaient adressées à un ami
collectionneur (celui avec qui il était allé
en Irlande), son exact contemporain, Breton bibliophile
passionné d'océanographie qui possédait la même voiture de
sport que lui, mais la conduisait de façon moins périlleuse,
semble-t-il, puisqu'il mourut de maladie, et que c'est sa
précieuse bibliothèque que ses héritiers vendaient à
présent, le clou de la vente étant, accroche-toi, ça
mériterait un corps légèrement supérieur comme dans La
Gazette, les 1 565 feuillets manuscrits de Nord
de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, ce même Céline
qui faisait sauter sur ses genoux l'enfant de son jeune
éditeur, sa petite Marie qu'il trouvait, je cite, toute
délicieuse et songeuse.
Nous sommes au printemps, je vais
avoir trois ans. " Je veux la revoir, écrit Céline à Roger
NIMIER, elle m'a fait rêver, je l'aime, et de si beaux yeux
! Ah vous n'avez pas fini d'empêcher que les amoureux se
suicident. " Pour l'anecdote, une interview de la
fille du collectionneur accompagnait l'article de La
Gazette, et j'y découvris avec un certain amusement
qu'elle n'était pas fâchée de se séparer du manuscrit de
Nord qui ne lui rappelait que de mauvais souvenirs. Elle
gardait de son auteur un souvenir " hautement antipathique
", le décrivant dans son gilet en peau de bête " qui
rappelait le pelage des deux bergers allemands couchés à ses
pieds. "
(BC n°260, janvier 2005).
*
Roger NIMIER
: (écrivain, romancier, journaliste et scénariste,
1925-1962) : " Il est très naturel de ne pas aimer
Céline. On peut le trouver un peu précieux ou bien trop
oratoire. Mais il est également permis de l'aimer. De
toute façon, il est très mal connu. On l'accuse injustement d'avoir écrit et inventé
des gros mots pour le plaisir, quand il lançait
seulement des invectives, au sens grec : exhortations au
combat contre les puissances néfastes de la vie. "
(Le
Maréchal des logis Céline, In Carrefour, 6 août 1952).
*
"
Louis-Ferdinand Céline habite près de Paris, avec six grands chiens. Il
ne les nourrit pas de critiques littéraires, mais de biscottes
écrasées. Ils sont assez doux. Céline aussi. Les écrivains méchants ne
sont pas des dogues ou des bergers allemands. Ce sont généralement des
pékinois. La vieille dame Littérature les porte dans son manchon. Au
chaud, à l'abri, ils aboient de toutes leurs forces quand un auteur
passe. Voilà pourquoi Céline est seul. Mais personne ne doute - les
pékinois non plus - qu'ils soient un des plus grands écrivains de ce
temps. Militaire, Céline était maréchal des logis dans un régiment de
cuirassiers. Nouveau motif de jalousie. On n'imagine pas, évidemment,
un pékinois cuirassier. "
(Arts, 9 mars 1955 ).
* Amélie NOTHOMB (écrivaine belge
francophone) : " Le rôle de l'écrivain, écrivait Barthes,
est de modifier les perceptions. " Les livres à message sont
ceux qui ont le moins de message. Seuls comptent les livres
qui ralentissent la perception que l'on peut avoir des
choses, et donc la modifie. On ne voit pas le monde de la
même façon après avoir lu Céline. La vision que l'on a en général du monde est
tellement rapide qu'elle ne laisse pas le loisir de
réfléchir. L'écrivain est là pour développer le processus de
réflexion. Le seul message qu'il ait à apporter, c'est sa
vision du monde, donc son style. "
(Le Quotidien de
Paris, 12 déc. 1992, dans BC n°128, mai 1993).
* " Céline disait dans ses préfaces avoir écrit
ses bouquins les plus empoisonnés par gentillesse
désintéressée, par irrépressible tendresse envers ses
détracteurs. Là est le véritable amour... (...) Rarissimes
sont les bouquins écrits par pure bonté. Ces œuvres-là, on
les crée dans l'abjection et la solitude, en sachant bien
qu'après les avoir jetées à la face du monde, on sera encore
plus seul et plus abject. (...) Prenons un grand livre de
beauté : Voyage au bout de la nuit.
Comment ne pas être un autre après l'avoir
lu ? (...) Sans couilles, un écrivain met sa plume au
service de la mauvaise foi. Avec de solides couilles, ça
donnera Mort à crédit. Sans couilles, ça donnera
La Nausée. "
(Hygiène de l'assassin, 1992, dans Spécial Céline n° 8, E. Mazet).
*
Louis NUCERA
(écrivain, employé de banque, journaliste, directeur littéraire
1928-2000) : " J'ai été de ceux qui ont lu Céline tardivement. J'avais
trente-trois ans.
C'était en 1961, l'année où le magicien du sarcasme
cessait de vivre. Dans le milieu où j'évoluais, Céline c'était
l'abjection ; un nom à ne prononcer qu'au risque de s'écorcher la
bouche, des livres à ne pas toucher avec des pincettes. Successivement,
depuis l'enfance, je m'étais entendu recommander Fils du peuple
de Maurice Thorez, les œuvres du petit père des peuples et grand
timonier Joseph Staline ; Jean Fréville et Jean Kanapa m'étaient
présentés comme des maîtres à penser. Qui évaluera l'étendue des ventes
forcées qui sont faites à de braves gens ? Ils achètent les
yeux fermés parce qu'ils obéissent à ceux qui ont su berner leur
crédulité. Rien de plus aisé. Les
propagandes savent intensifier la consommation. Celle dont je parle
promet le gros lot pour tous à la loterie des mirages. Alors les floués
lâchent la bonde aux illusions qui bouillonnent en eux (...)
Un jour, enfin, j'ouvris Voyage au bout de la nuit, ce livre
qui dormait d'un sommeil d'explosif à la vitrine d'un libraire. (...)
Je découvrais l'œuvre d'un homme qui propageait instinct et émotion
comme se propage la lave en fusion, un homme qui se délivrait de
l'entrelacs des illusions dans une langue que les cancres savants
ignoreront toujours. Cet homme de culture avait aussi appris la vie
dans la vie : la guerre, les voyages, le dispensaire d'une banlieue de
fin du monde. Il ne se penchait pas sur ces compagnons de déroute et de
misère avec un idéalisme de commande dans le but de tonifier
(démagogiquement) le lecteur ou de se requinquer soi-même. (...)
Depuis, pour moi, nul auteur n'a supplanté Céline dans ce Panthéon
personnel que chaque amoureux des livres édifie. "
(Un aventurier du
langage, Van Bagaden, Céliniana, 1990).
*
Kenzaburô OE (écrivain japonais) : " On se souvient que Roger
Nimier, avait, en 1956 réclamé avec fougue le prix Nobel pour Céline.
En 1994, il vient d'être attribué à Kenzaburô OE, cet écrivain
qui depuis longtemps envisage de consacrer un essai à ... Céline.
" Pour
moi, la littérature est nécessairement une contestation de la culture.
Or, ce qui est curieux, c'est ce paradoxe qui veut qu'à la génération
suivante cette contestation devienne une expression de la culture. Il
suffit de voir comment Céline a fini par appartenir au patrimoine
culturel de la France. Selon moi, seule la littérature peut formuler
une auto-affirmation critique de la culture japonaise. "
Les travaux
universitaires se multiplient, l'intérêt des Japonais lettrés pour
Céline est patent: quasi toute son œuvre y est traduite. Le Japon
n'ayant pas d'autorisation à demander, il est le seul pays où les
textes polémiques de Céline sont officiellement réédités.
(BC,
janvier 1995).
* Karl OREND (spécialiste du Paris des années 1930,
lui-même parisien) : " Karl OREND a publié l'été dernier
dans
le Times Literary Supplement un article dithyrambique sur
Céline, qui a fait couler un peu d'encre. Pour OREND la
conviction de Céline, à la fin des années 1930, qu'une " conspiration
juive était à l'arrière-plan du conflit se préparant avec l'Allemagne "
était partagée par des millions de gens. Il cite Gide, qui vit dans Bagatelles
pour un massacre un " exercice de style ". Le départ forcé de
l'écrivain pour l'Allemagne et le Danemark, en 1945, aurait été le
résultat d'un lynchage médiatique, couronné par l'assassinat de son
éditeur Robert Denoël, en décembre de la même année.
" Le côté humain de
Céline est ignoré, écrit OREND. Il s'occupait des pauvres et
des malades. Il se dévouait pour ceux qui étaient loyaux avec lui. La
musique et la danse étaient sa passion. " (...) Faisant valoir que sa
mère était d'origine juive polonaise, il écrit dans un courrier
ultérieur : - " La raison pour laquelle Céline est honni est simple. Il
nous rappelle les mensonges que les gens ont écrits pour dissimuler
leur honte à avoir laissé se produire l'Holocauste, en particulier la
honte des Français, coupables de collusion. " Il souligne que les trois
pamphlets maudits, qui n'ont pas été réédités depuis la guerre, sont en
accès libre sur le web. "
(Books n°10, nov-dec 2009).
* Jean
d'ORMESSON (Jean Bruno Wladimir François-de-Paule Lefèvre d'Ormesson,
romancier, chroniqueur) : " Céline est le poète de l'abjection. De l'abjection et
de la mort... Il y avait chez Céline un visionnaire et un
pamphlétaire, un moraliste et un voyou, un poète et un éboueur. Sartre
supposait, bien à tort, que Céline était " payé "... Céline, évidemment,
n'était pas payé.
C'était un cavalier de l'Apocalypse. Il avait
beaucoup souffert : il était passé par " douze métiers, treize misères ",
et la " vacherie universelle " s'était exercée sur lui. Il était fou et
pur. Un mélange explosif. "
(Une autre histoire de la littérature
française, éditions Nil).
* Pascal ORY
(historien français, professeur émérite d'histoire
contemporaine à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à
Sciences Po Paris (école de journalisme) et à l'INA Sup) : "
Ce qui est anormal, c'est que ces pamphlets n'aient pas été
réédités plus tôt. Ces textes sont des documents historiques
importants, et il est normal de les réintégrer enfin dans
l'œuvre de Céline. L'Humanité vit avec des cancers, ça ne
sert à rien de dire : " Il n'y a pas de cancers ! ". Au
fond, la censure est un aveu troublant.
Ces textes auraient-ils une force telle qu'il faudrait les empêcher de
resurgir ? Au contraire, il faut les affronter directement
avec les armes de la critique scientifique. Sans cela, on
aura la liberté d'Internet, sans l'appareil critique. "
(BibliObs, 8 janvier 2018).
*
Yves PAGES (écrivain, essayiste, éditeur, dramaturge,
auteur de Les fictions du politique chez L.-F. Céline) : " Il
est absurde, ainsi que le fait Pascal Ory, de définir Céline
comme un petit bourgeois - accusation qui fit des milliers
de morts en pays marxistes - ou d'anarchistes de droite pour
le réduire à la dimension d'un Jean Yanne.A
Montmartre, dans les bistrots, il y a plein de gars forts en
vannes, mais ils n'ont pas écrit Voyage ou Mort à crédit. "
(Débat au Théâtre des Amandiers, 10 octobre 1992).
*
" Ce qui se joue dans Guignol's band, c'est la façon
dont la harangue raciste change de forme une fois déplacée
dans l'espace même de son ressentiment : ce Londres
cosmopolite qui servit entre 1881 et 1914 de terre d'asile
aux Juifs fuyant les pogroms d'Europe centrale. Car c'est
justement dans ce ghetto-là que l'auteur de L'Ecole des
cadavres, a choisi d'installer les silhouettes
interlopes de Guignol's band, non pour y poursuivre
par d'autres moyens, romanesques, la satire assassine des "
Sémites " mais pour plonger Ferdinand dans un bain de
jouvence faubourienne, à l'unisson d'une euphorie
collective. "
(Le Magazine littéraire, février 2011).
*
" Dans les pamphlets, il n'y a plus que le rire. Quand on
appelle au meurtre, et qu'on ricane en plus, ce n'est pas
une circonstance atténuante, c'est immonde. "
(Le Procès
Céline, 18 octobre 2011).
*
" Je n'ai jamais pu terminer L'Ecole des cadavres,
j'ai vomi avant. "
(Colloque Céline, Fondation
Singer-Polignac, Beaubourg, 2011, Spécial Céline n° 8, E. Mazet).
* Albert PARAZ (romancier et journaliste, 1899-1957) : "
Il faut d'abord préciser qu'il est le plus grand écrivain de notre
temps. Cela ne peut faire de doute pour personne. Nous ne parlons pas
seulement des écrivains français, mais de ceux de tous les pays. Et de
même que Céline était trop loin au-dessus du prix Goncourt, de même il
n'aura pas le prix Nobel, bien qu'un Mauriac, un Faulkner et un
Hemingway ne lui arrivent pas, en montant l'un sur l'autre, à la
hauteur de la semelle.
Pour n'en pas convenir, ses ennemis en sont réduits à se réfugier dans
le silence. Ils croient qu'ils le font exprès. En réalité, ils sont
incapables d'en parler, le sujet les dépasse. Féerie est un
tel chef -d'œuvre que ceux qui l'ont commenté ont été obligés de sortir
de leur médiocrité et de s'élever jusqu'à leur modèle. "
(Europe
Magazine, 24 mars 1955).
* Jean PAULHAN
(écrivain, critique et éditeur, 1884-1968) :
" Lorsque j'attaquais les Juifs. Lorsque j'écrivais Bagatelles pour
un massacre je ne
voulais pas dire
ou recommander qu'on massacre les juifs. Eh
foutre tout le contraire. Je demandais aux juifs à ce qu'ils ne nous
lancent pas par hystérie dans un autre massacre plus désastreux que
celui de 14-18 ! C'est bien différent.
On joue avec grande canaillerie
sur le sens de mes pamphlets. On s'acharne à me vouloir considérer
comme un massacreur de juifs. Je suis un préservateur patriote acharné
de français et d'aryens - et en même temps d'ailleurs de Juifs ! Je
n'ai pas voulu Auschitz, Buchenwald. Foutre ! Baste ! Je savais bien
que déclarant la guerre on irait automatiquement à ces effroyables "
Petioteries ! "
(Lettre à Jean Paulhan).
* Charles
PÉGUY (écrivain, poète et essayiste, 1873-1914) : " Je vous signale que PÉGUY n'a jamais rien compris
à rien et qu'il fut à la fois dreyfusard, monarchiste et cabotin
". (Lettre publiée dans l'Appel, 4 déc. 1941).
Sans doute, Céline avait-il plutôt écrit " calotin ",
exprimant ainsi, une fois encore, sa hargne envers l'Eglise catholique,
" notre grande métisseuse, la maquerelle criminelle en chef,
l'antiraciste par excellence "... Comme l'a bien vu Philippe Alméras,
" en exécutant PÉGUY, c'est à l'un des " saints " du régime de Vichy que
Céline s'en prend. Catholique (quoique détaché de L'Eglise), fils d'une
rempailleuse de chaises des bords de la Loire, socialiste et mort au
Champ d'Honneur, PÉGUY connaît en effet une étonnante fortune
pendant les années de l' Occupation, digne emblème en somme de cette
France chrétienne, libérale et chauvine que Céline vomit. "
(The
French Review, vol. XLIV n° 5, april 1971).
* Henri PEYRE
(professeur Université de Yale) : "
Ceux qui écrivent un argot fort stylisé, tels Jean Genet, Raymond
Queneau et Céline, se condamnent à une mort prématurée et à un oubli
sûr dans quelque recoin obscur parmi les minus habens de la
littérature. "
(Oxford,
University Press, Galaxie Books, 1967, Le métro émotif de L.F.Céline ,
P.A.Fortier, Lettres Modernes, Minard, 1981).
* Pascal PIA
(écrivain, critique littéraire,
1903-1979)) : " La
folie antisémite de Céline, qui a fait de lui un hors la loi, même
dans l'histoire littéraire, PIA, tout grand résistant qu'il ait
été, l'ignore. Il considère l'auteur du Voyage au bout de la nuit
comme l'un des rares prosateurs - le seul, peut-être avec Joyce -
qui, depuis trente ans se soient ingéniés à enrichir la littérature
d'un nouveau mode d'expression. "
Rendant compte du roman de Céline sur la débâcle
hitlérienne, D'un château l'autre, il écrit: " C'est d'après La
Chartreuse de Parme que nous imaginons ce que fut Waterloo. C'est
dans D'un château l'autre qu'un moment de l'histoire se
trouvera fixé, et ce sera justice. "
(dossier Pascal PIA, in
Histoires littéraires n° 35, 2008 - dans le BC déc.2008)
*
" Plus on l'a voulu coupable, plus il s'est ingénié à se
donner des airs de culpabilité, réunissant contre soi, dans
la même croisade, l'indignation sincère, l'hypocrisie et la
bêtise prétentieuse - la bêtise notamment de cet " agité du
bocal ", selon qui Céline aurait été payé pour soutenir "
les thèses socialistes des nazis ! ".
Depuis, d'autres " agités " ont proféré sur Céline des
jugements d'une bêtise tout aussi surprenante, qui
n'auraient pas manqué de retenir l'attention du parfait
lecteur que fut Pascal PIA, qui écrit aussi : " On a
accusé Céline de mépriser l'homme. Peut-être le moment
s'approche-t-il où quelques-uns ne se sentiront pas
autrement fiers de l'avoir dénigré ". Ce moment approche
sans doute, mais lentement. "
(Jean-Paul Louis,
Avant-propos in Pascal PIA, Céline en liberté, Chroniques
dans Carrefour, Du Lérot, 2011, dans BC n°338, fév. 2012).
*
Charles PLISNIER (poète, essayiste belge, 1896-1952) : " Eh bien ! Vu ainsi -
purement et simplement sous l'angle littéraire - Bagatelles pour un
massacre est un chef d'œuvre de la plus haute classe. "
(Flashs
d'Eric Seebold, 1977).
*
Bertrand POIROT-DELPECH
: " Le fameux
style célinien naît de ce déferlement d'une logique, d'une syntaxe, d'un
vocabulaire, d'un accent, d'autant plus chargés d'émotion qu'ils ont
été bannis de l'expression écrite depuis plus de trois siècles que
celle-ci a quitté la rue pour se calfeutrer dans les salons. A raison
de cette longue rétention, l'effet est moins d'une bombe que d'une bonde soudain lâchée. "
(Le Monde, Livres, vendredi 15 octobre 1982).
* Léon
POLIAKOV : (historien dont les travaux ont largement porté sur la
Shoah et sur l'antisémitisme, 1910-1997) : " A l'époque de l'apaisement
et de Munich, Céline avait déversé des torrents de haine démente sur
les Juifs dans des pamphlets dont les titres déjà (Bagatelles pour
un massacre, L'Ecole des cadavres), dans leur crescendo forcené,
sollicitaient et préfiguraient à la fois le déroulement progressif de
l'œuvre exterminatrice. "
(Sur les traces du crime, Berg
International, 2003).
POLIAKOV
avait-il vraiment lu les satires que Céline publia avant guerre ? On
peut en douter . A ses propos, on peut aujourd'hui en opposer d'autres
: " Pour la plupart des lecteurs de l'époque, comme pour ceux
d'aujourd'hui, Bagatelles pour un massacre, est un appel au
pogrom, à tuer des juifs. Or, une lecture même cursive de ces textes
montre à l'évidence qu'il ne s'agit pas de cela ; le massacre en
question est celui des Français dans la guerre à venir : conflit en vue
duquel ces mêmes Français, futurs cadavres, sont endoctrinés, formatés,
éduqués - bien entendu par les juifs, les francs-maçons, les
politiciens, etc... "
(Régis Tettamanzi, Esthétique de l'outrance.
Idéologie et stylistique dans les pamphlets de L.F. Céline, vol.1, Ed.
du Lérot, 1999, p.26).
* Henri POLLÈS ( écrivain, poète et essayiste
breton, 1909-1994) : " Mon cher confrère, / Breton certes je le suis, et
je le pense, absolument en somme. Et sans doute dans un certain sens
beaucoup plus purement que vous - christianisé, enjuivé, vous tournez
piteusement, sournoisement, autour du pot pour ne pas articuler le
grief dans votre plume bigote : " Il n'aime pas les juifs et je n'ose
pas, tellement je les révère, prononcer leur
nom sacré. "
(...) Si vous ne comprenez pas la question juive alors
étudiez-là ! cessez d'en ragoter à la provinciale cahotiquement et
peureusement, couardement (pour ne pas perdre vos lecteurs). Vous
n'avez plus ainsi pour néo-bardes celtes ! les Saint-Paul Roux ! et les
Jacob ! A pouffer ! (...) Vous n'êtes pas plus bretons que poitevins,
armagnacs ou caffres, vous êtes des néo-juifs c'est tout. Vous
connaissez peut-être le mot de Marx (un ancêtre de Jacob): " Les juifs
se seront émancipés dans la mesure où les chrétiens seront devenus
juifs. " C'est fait. / LF Céline ".
(Lettres 2009, à Henri Pollès le
22 juin 1941).
* Evelyne POLLET (réside à Anvers, 1905-2005) : " Ces dernières années, on nous a imposé
l'image d'un vieillard délabré, dépenaillé, infirme, à la voix
affaiblie, au débit confus. Rien ne peut donner l'idée de ce qu'était
Céline au moment de sa gloire. Il entrait, et c'était le génie qui
entrait. Bien plus tard, j'ai fait part de cette impression à Paraz, et
il m'a répondu que beaucoup l'avait ressentie.
Même éreinté, malade,
vidé par ses bouquins, Céline exerçait un magnétisme ; en pleine forme,
il exprimait une intensité d'une puissance irrésistible. Ses yeux
fascinaient, si changeants, si beaux, parfois pénétrants, souvent
lourdement voilés, perdus au loin comme ceux d'un fauve. Je l'ai
souvent vu bondir: je l'ai toujours vu marcher comme s'il partait vers
une conquête, les cheveux au vent, la tête haute, le corps tendu, le
pas d'un lion. "
* Henri
POULAIN (secrétaire de rédaction de Je suis partout, 1912-1987) : " Le moyen de rencontrer Céline ? Traversez Paris en
métro, à une porte prenez un autobus et offrez hardiment les tickets
bleus de M. Mariage ; ne descendez qu'au lointain terminus, marchez à
pied deux bons kilomètres, enjambez deux fois la Seine sur des ponts
moitié de pierre, moitié de bois ; au bout, quelque part, s'élève un
modeste dispensaire municipal.
Là, avec de la chance, vous pourrez
apercevoir Louis-Ferdinand Céline, toubib et génial écrivain. A son
livre énorme qui fit grand bruit, il vient d'ajouter un nouveau livre, Les
Beaux draps, lessivage du linge sale de la famille, sans
ménagement, à coups de battoir, mais pratiqué avec la grâce et la
légèreté dont la tradition pare les lavandières de jadis. "
(Voyage
au bout de la banlieue, Je suis partout, mars 1941).
* Robert POULET (écrivain et journaliste belge,
1893-1989) : "
J'ai vu, moi ! J'ai vu monter chez Louis Destouches la colère
dont les
pamphlets sont sortis. Colère
causée par l'impression subite d'une
nouvelle grande guerre qui se préparait. C'était trop bête, il ne
pouvait pas supporter çà ! Comme ce coup de rage - celle de l'ancien
combattant dindonné : il était en train
d'écrire Casse-pipe - coïncidait
avec certaines rancœurs que lui avaient laissées ses démêlés de
médicastre, frustré par un confrère juif, et comme les juifs, forcément
se rangeaient presque tous dans ce qu'on nommait le clan belliciste,
c'est sur eux que se concentra la fureur extravagante de Bardamu. Ce ne sont pas trois libelles délirants, frénétiques, déments (et
pourtant littérairement admirables), qui pouvaient calmer des passions
encore plus aveugles qu'eux, puisque leurs effets risquaient de
s'étendre, pour le malheur de tous, à l'ensemble du monde. "
* " Personne,
non pas même Proust, n'a exercé sur la littérature de ce
siècle une plus grande influence que Louis-Ferdinand Céline.
Cela se reconnaît à ceci que - quelques rares exceptions, de
la lignée analytique et traditionnelle,
mises à part - on peut toujours dire d'un roman contemporain
s'il a été écrit avant ou après le Voyage au bout de la
nuit. Il suffit d'une page pour en juger. Cela signifie
que l'auteur de ce chef d'œuvre en désordre a provoqué dans
l'imagination française une révolution. "
(L.-F. Céline,
Normance in Rivarol, 22 juillet 1954).
* Ezra POUND
(poète, musicien et critique américain, 1885-1972) :
" Non seulement en ce qui concerne sa copia, son abondance de mots /
Non seulement pour son contenu / Il faut lire Céline un de ces jours.
Il faut que les membres actifs du Public achètent leurs propres copies
de l'Ecole des cadavres ".
(30 flashs d'Eric Seebold,
1977).
*
Jean PREVOST
(écrivain, journaliste, romancier
1901-1944 tué dans le maquis du Vercors) : " Il n'y avait qu'une seule
manière de théâtre dont M. Céline pût se rapprocher involontairement ou
s'inspirer consciemment : c'est
Ubu Roi.
Il en a la
grossièreté, la violence destructive, mais Ubu, justement, nous montre que la grossièreté
même a besoin d'art. Il y a, dans Jarry, un rythme des répliques, une
invention verbale sans clichés, un relief et un mordant qui font
tout à fait défaut à M. Céline. Sans doute, on trouve, de temps en
temps, une invention verbale amusante, dans le goût populaire, et que
personne au monde ne peut se vanter d'avoir inventée : " Va lui flanquer mon
pied dans le cul ", par exemple. Mais,
pour qui a pris l'habitude de l'argot, il y a quelque lassitude à
retrouver, dans M. Céline, tous les clichés de l'argot.
On nous
excusera de revenir sur l'un de points qui ont été les
plus mal traités à propos du
Voyage au bout de la nuit.
Mais peut-on considérer l'argot comme une langue vivante, une
véritable langue parlée, tandis que la langue écrite ne serait qu'une
langue morte ? Le véritable intérêt de l'argot, c'est de n'être compris
qu'entre initiés.
Dès que tout le monde comprend les termes de leur
langage, les gens du milieu en changent. L'argot qui ne
sert plus aux gens initiés amuse les bons badauds,
quelques années encore, par la verdeur de ses
métaphores. Et enfin, quand ces métaphores sont devenues
banales et courantes pour tout le monde, quand ce ne
sont plus des inventions, elles sont plus plates que la
langue courante elle-même. Les argots se démodent et
meurent tandis que le français reste... "
(Lieux
communs de l'argot, conformisme de la révolte sans pensée, Les
critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).
* Frédéric PROKOSCH
(écrivain américain, 1908-1989) : " J'adore les livres de
Céline. J'ai été très influencé par lui, bien que son univers soit bien différent du mien.
Le Voyage au bout de la nuit m'a inspiré. Céline écrit comme
on parle, ses livres communiquent
une énergie quasi
électrique. Il m'a aidé à réduire mon style à un niveau plus parlé, à écrire
de façon plus " détendue ".
C'est vraiment un merveilleux romancier, et il est absurde de penser
qu'il faille juger ses livres à partir de ses opinions. "
(Le
Figaro littéraire, 6 novembre 1989).
* Marcel
PROUST (écrivain, 1871-1922) : " PROUST explique beaucoup trop à mon goût - trois
cents pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave
c'est trop. "
*
" PROUST,
mi-revenant lui-même, s'est perdu avec une extraordinaire ténacité dans
l'infinie, la diluante futilité des rites et des démarches qui
s'entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de
désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs
sans entrain d'improbables Cythères. "
(Voyage au bout de la nuit,
p.74).
*
" Alors, avant
PROUST, pédéraste, c'était déjà se signaler
drôlement n'est-ce-pas... C'était pas bien vu... Mais
alors, PROUST, par son style, son génie
littéraire derrière, a rendu les choses possibles que
les mères ont pu tolérer la pédérastie dans leur
famille, en somme, n'est-ce-pas... On dit : je suis
pédéraste comme PROUST, moi... comme Monsieur
Gide... y z'ont fait beaucoup pour la pédérastie en la
rendant... en l'officialisant, en somme,
n'est-ce-pas... (...) Alors ça, naturellement, ça y z'ont
un public pour eux... Et comme tout ce monde
pédérastique fréquente beaucoup les arts, alors, en
plus, le peintre, le littérateur pédérastes, tout ça, ça
colle très bien... C'est très artiste... ça fausse un peu
le jugement qu'on peut avoir sur PROUST, ces
histoires pédérastiques, cette affaire de bains-douches,
mais ces enculages de garçons de bain, tout ça, c'est
des banalités... Mais il en sort que le bonhomme était
doué... Extraordinairement doué... "
(Interview, Jean
Guenot, Jacques d'Arribehaude, 6 février 1960, Cahiers
L'Herne biblio, poche, 1963,1965,1972).
* Yann
QUEFFELEC (écrivain ) : " Je n'aime pas Céline. A chaque phrase, il fait un sort
à un mot et ça nuit au mouvement général du texte. C'est constamment
" pittoresque ". Il fait le malin, du genre : "
Vous avez vu un peu
ce que je vous ai tourné là ? "
(Paris-Match, 10 avril
1997).
*
RABELAIS
(prêtre, médecin et écrivain, né entre 1483 et 1494 mort
en 1553) : " De plus, Céline et
Rabelais sont des médecins. Ils sont très proches des misères et des
souffrances de
l'homme, de ses faiblesses, et ils côtoient la mort,
découvrent l'humanité avec ses peurs, ses angoisses et ses craintes
inavouées. Les deux médecins s'efforcent de lever le voile sur l'aspect
de charnalité des individus qui les
entourent, de dire la vérité sans fards, la vérité toute nue, si laide
soit-elle.
Et de crier, de clamer haut
et fort pour choquer, réveiller les âmes endormies ; péché de jeunesse,
d'une jeunesse étudiante un peu folle qui prend contact avec la mort et
les souffrances du monde, qui, pour les oublier, les narguer, les
éloigner, comme pour les exorciser, s'en joue et se fait un malin
plaisir de les étaler au grand jour pour les rendre moins désagréables,
plus acceptables. "
(Bulletin de l'Association des Amis de Rabelais,
Tours, 1994).
*
Etrange facétie du destin : Céline vécut
les dernières années de sa vie à Meudon, là où Rabelais finit
la sienne comme curé de l'église Saint-Martin. (BC, oct. 1993).
* Giovanni RABONI (poète, écrivain et journaliste
italien, 1932-2004) : " (...) Si j'ai évoqué ces vieilles histoires,
c'est parce qu'il me semble qu'elles reflètent encore les deux façons
les plus typiques par lesquelles la culture " politiquement correcte " tend à résoudre
et, pour ainsi dire, à sublimer son embarras devant les grands réprouvés de la littérature. Vous savez de qui il
s'agit. Deux - peut-être les plus importants - je les ai déjà
mentionnés ; mais Pound et Céline ne sont pas les seuls, bien
évidemment, à se retrouver dans cette situation inconfortable ou même
dérangeante.
Et alors ? Alors
relisons-les ces grands réprouvés d'aujourd'hui et de demain. En
faisant attention non seulement à ce qu'ils disent, non seulement à la
façon dont ils le disent mais aussi à l'afflux et à la conversion
incessant de la forme dans le contenu, à la dialectique qui s'instaure
dans ces deux concepts de façon essentielle et inépuisable. (...) Et à
ce moment-là, rien qu'à ce moment-là, nous découvrirons probablement
que si le mur de Berlin pour la littérature n'est pas encore tombé,
c'est peut-être parce qu'en ce qui concerne la littérature, il n'a
jamais existé. "
(Corriere della Sera, 31 oct.2000).
* Henri RACZYMOW (écrivain) : " Moi, Céline, c'est
surtout quand j'étais jeune... 17 ans... c'est ça qui
reste... Je sais rien d'autre... Depuis, on m'a dit... J'en
sais rien... J'ai pas lu, j'avoue... Mais l'effet qu'à lire
alors le Voyage, Mort à crédit, produit sur
l'adolescent, comment l'oublier ?... Le choc... l'émotion...
la vie, comme nulle part ailleurs... La révolte dans le
style. Jusque dans les virgules... Il m'a appris à manier
les virgules, Céline... le vrai style, le chant... le
rythme... par dedans...
Le reste ? Qu'il n'aime pas les juifs ?
qu'il les veut en Afrique ? Qu'il veut pas faire la guerre
pour eux contre Hitler ?... Bagatelle... Il l'a dit au
microphone... L'humanité lourde... ils sont lourds... Il
n'aime pas les juifs, voilà, parce qu'il n'aime pas les
hommes, Céline... Mais moi, c'est l'émotion surtout...
n'importe où, au hasard... vous ouvrez, ça chante... "
(Information
juive, février 1987, dans Spécial Céline n°8, E. Mazet).
* Jean-Robert RAGACHE (historien, maître du Grand
Orient, professeur d'histoire) : " Recasé après son naufrage, comme
médecin dans un dispensaire de banlieue, Céline fait partie le 10 juin
d'un convoi d'évacuation " organisé " par la mairie de Sartrouville.
Lui qui ne fait jamais rien comme ses pairs vit alors un exode
surréaliste qu'il transposera plus tard dans Les Beaux draps et
dans Guignol's band. Il voyage donc à
bord d'une ambulance
municipale, en compagnie de sa femme Lucette, d'un chauffeur, d'une
grand-mère et de deux nouveau-nés (qui ne sont pas les siens !): "
Curieux de nature et si j'ose dire de vocation, j'ai été fort heureux
de participer à une aventure qui ne doit se renouveler j'imagine, que
les trois ou quatre siècles. "
Le périple dure une dizaine de jours, émaillé d'incidents tragiques ou
burlesques au terme desquels ils aboutissent tous en Charente: " Je
suis parti avec des petites filles, je raconterai tout ça bien plus
tard, à tête reposée, " des moins de dix jours " et leur grand'mère,
dans une toute petite ambulance. J'ai bien protégé leur jeunesse au
pire des plus affreux périls. (On dira tout ça sur ma tombe.)
Croyez-moi si vous voulez, on pouvait pas aller plus vite, on a bien
fait tout ce qu'on a pu, pour rattraper l'armée française... " Verve
célinienne certes. Mauvaise foi aussi : Céline ne peut ignorer qu'une
bonne semaine après son passage, on se battra durement de Saumur à
Gien, loin derrière lui..., et non devant ! "
(La vie quotidienne des
écrivains et des artistes sous l'Occupation 1940-1944, Hachette,1988,
p.33).
* Michel RAGON
(écrivain, critique et historien d'art, 1924-2020) : " Ma voie est plus dans la lignée de Céline que dans celle
de Proust, bien qu'après tout Proust portait témoignage pour une classe
disparue, c'est un écrivain engagé à sa manière ! Céline m'intéresse à
cause de son expression populaire, de son emploi de l'argot, de
l'éclatement qu'il a fait de la langue convenue, de son retour à
Rabelais qui m'est cher, mais je n'imite pas du tout Céline. Il n'y a
pas d'influence du style de Céline dans mes écrits. C'est plus l'esprit
de Céline - pas son esprit politique - son esprit iconoclaste qui est
important pour moi. "
(Magazine littéraire, janvier 1997).
* " Céline est
un des personnages du dernier roman de Michel RAGON, La
mémoire des vaincus, paru chez Albin Michel. Ce livre narre la vie
et la mort d'un des principaux personnage du mouvement libertaire
français. On y trouve des extraits de lettres de Céline à Maurice
Lemaître. "
(BC n°95, juillet 1990).
* Charles-Ferdinand RAMUZ (écrivain et poète suisse
1878-1947) : " ... Car RAMUZ est avant tout un poète qui écrit
des romans : son style très personnel, rompt avec la syntaxe
traditionnelle : s'il prend soin d'éviter tout régionalisme lexical, il
cherche à créer une langue parlée proche de celle de ses personnages, non
seulement dans leurs discours mais dans celui du narrateur-récitant. Ce
style oralisé - dont s'est réclamé Céline, qui l'admirait - n'a pas une
fonction référentielle mais une visée esthétique. "
(R. Francillon,
Dictionnaire des lettres françaises, Poche,1998).
* " On pourrait citer
tous les extraits de lettres où Céline témoigne directement du rôle
joué par le RAMUZ styliste : - " Question transport du parlé en
écrit, il ne faut pas oublier RAMUZ (...) Il y avait RAMUZ
en Suisse (...) Que lira-t-on en l'an 2000 ? Plus guère que Barbusse,
Paul Morand, RAMUZ et moi-même, il me semble. "
(Jérôme
Meizoz , Le Passe-Muraille, Lausanne,février 1997, dans BC
n°224, oct.2001).
* Jean RAY (Raymond Marie De KREMER, écrivain belge
bilingue 1887-1964) : " Il m'arrive de relire ce que j'ai écrit il y a
des
années. Ainsi... " C'était à Copenhague, un soir. / " Il y a, au
fond de l'Ostergade, une darse
aux trois-quarts colmatée où
dorment des vaisseaux morts. / " J'étais las et je voulais dormir. / "
En ces jours Céline, pour moi, n'était encore qu'un nom déjà doré d'une
gloire jeune. Aujourd'hui, pour moi, son ombre s'est attachée à ces
mots nés de la grande pitié de la mer. Par une puissance prémonitoire ?
Une simple palpitation du Temps, peut-être...
Hier, sur cette
même Ostergade, noyée de crachin, j'ai dit à un camarade
danois : - Un des grands honneurs échus au sol de ton pays, c'est que
Céline l'ait foulé de ses pattes de tigre. - Il ne s'est pas passé
d'année sans une décision de ma part d'aller voir Céline. Je ne l'ai
jamais vu et je ne sais si j'en ai regret, car les dieux doivent rester
au-delà des nuages. Mais il y a toujours un de ses livres à portée de
ma main, comme un bréviaire où les plus belles prières indévotes du
monde se rencontrent au coin des pages. "
(L'Herne n°3, 1963).
* Lucien
REBATET (écrivain, journaliste et critique musical, 1903-1972) : " Je n'ai appris sa mort qu'hier soir par un coup de
téléphone de Robert Poulet. Lucette tenait absolument que cette
nouvelle restât aussi secrète que possible, que les meutes de
journalistes ne fussent pas alertées. Elle a bien fait. Nous n'étions
ce matin qu'une trentaine d'amis (pour la littérature, Roger
Nimier, Marcel Aymé, Robert Poulet, Claude Gallimard et moi). Et cet
enterrement presque clandestin a été une extraordinaire page
célinienne. Le
cercueil était posé dans sa chambre à coucher, à côté de la porte de la
salle de bain grand ouverte. On voyait le lavabo, les serviettes, et en
tournant la tête de l'autre côté, les hardes de Louis-Ferdinand, ses
cinq ou six canadiennes
élimées, accrochées en tas à un portemanteau. Lucette aurait voulu une
messe (Céline s'en fichait, il aurait voulu la fosse commune), mais le
curé du Bas-Meudon a refusé.
Il a refusé aussi d'envoyer une religieuse pour faire sa dernière
toilette. Nous sommes donc allés directement au cimetière du
Vieux-Meudon. Juste à cet instant, il s'est mis à tomber un petit
crachin, comme pour une illustration de Mort à crédit... Nous
avons tous jugé qu'il était parfaitement dans l'ordre de ce temps que
le plus grand écrivain français d'aujourd'hui fût enterré ainsi, à la
sauvette, par une poignée de copains, beaucoup plus pauvrement qu'un
concierge... "
*
Jean-Guy RENS (auteur,
consultant, Etudes de sociologie à l'Université de Genève) : " Le 1er
juillet 1961 il est midi quand Céline annonce à sa femme la fin
de
Rigodon. Le temps d'avertir
Gallimard... Il est six heures. C'est le soir, l'heure de la fin du
voyage : quelque part dans le cerveau une artère se rompt. La tête
pleine de sang
l'albatros ne répond plus.
La tête !
Rigodon, ce n'était plus une
histoire fictive... Mais encore une fois, qui aurait pu continuer à
faire de la fiction après les
fours à phosphore
de Hambourg et de Francfort ? Promener Bardamu au milieu de l'agonie de
l'Europe eût été obscène. Aussi avait-il fallu être plus qu'écrivain,
plus que témoin : pauvre chroniqueur. Mais
avec un souffle de prophète. Et puis il avait fallu tendre la tête aux
marteaux de l'Histoire...
Tout cela
Céline l'avait fait avec un sens païen du sacrifice. Projetant
intactes, jusqu'à son dernier souffle, toute sa violence et sa
démesure. Ricanant au dessus des gnomes des temps modernes. Démontrant
au monde qui n'en revenait pas que l'humanité est irréductible à la
somme des individus qui la composent. Il faut choisir : l'humanisme ou
l'individualisme. Les deux ensemble : jamais ! Comme Molière Céline est
mort sur la scène. Un instant le mensonge est devenu vérité. Vérité
totale, absolue, immuablement objective. Union suprême de l'art et de
la vie, mais la vie perd toujours...
(Voyage n°2,
Les critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).
*
François RICHARD (écrivain) : " Et en un peu plus de
quinze ans - et deux romans puissants - il va devenir,
d'après Arnold Mandel, cet " aventurier mortifié des
métropoles ", dont le regard " ne s'éclaire que de
l'orgueil de sa lucidité, de l'éclair de son sarcasme ",
mais surtout l'homme qui va pressentir la prochaine apocalypse
guerrière, qui va hurler à l'humanité qu'elle
court à sa perte, que la guerre, c'est, selon les termes de Pol Vandromme, " l'organisatrice d'un chaos démentiel, un suicide collectif
des nations européennes. (...) bref un attentat contre ces secrets de
l'art de vivre, ce bonheur humble, intact, débarbouillé des surenchères
de l'envie comme du pédantisme de la discussion absconse, et contre
lesquels le juif selon Céline s'acharne avec une férocité patiente.
Dès lors,
s'étant lui-même exclu de l'Histoire, ayant été exilé, puis emprisonné,
il livrera ces deux jugements définitifs sur les hommes dans ses Lettres
à Albert Paraz; d'abord très violemment: " Idiots lâches veules
digestifs biberons, c'est tout larbins torves mouchards
fastidieux... cheptel dégénéré total..., la foule ! tu n'as qu'à la
regarder passer... leurs viandes en auto... leur cerveau disparu... leurs
jambes ont disparu aussi... comme le ténia, au bocal, tous ! ", puis
plus sereinement : " Quand je quitterai cette vacherie de monde - si on
me demande ce que je pense des hommes - je dirai : ils sont lourds ! "
(L'anarchisme
de droite dans la littérature contemporaine, PUF, 1988, p.138).
*
Gaël RICHARD : (chercheur, spécialiste de Céline, auteur
du Procès de Céline 1944-1951, Le dictionnaire de la
correspondance de L.F.C., le dictionnaire des
personnages,
des noms, figures dans l'œuvre romanesque de L.F.C.) : "
Sous le titre La Bretagne de L.-F. Céline, Gaël
RICHARD regroupe les morceaux de puzzle qui relient
Céline à la Bretagne, de sa
plus
tendre enfance aux dernières évocations de ce qui sera pour
lui le " pays Divin ", en commençant par mettre à mal
la légende d'une mère bretonne. La jeunesse de "
Petit-Louis " se terminera avec la rencontre en 1914 au
12è régiment de cuirassiers de Rambouillet des soldats
bretons, rudes gaillards ne parlant pas du tout français. Il
en retracera le portrait dans Casse-Pipe et Voyage au
bout de la nuit.
Après la
guerre, Londres et l'Afrique, il va parcourir de long en
large la terre de ses ancêtres comme conférencier de la
commission Rockefeller de lutte contre la tuberculose. En
mars 1918, à Rennes, la rencontre du Dr Athanase Follet va
marquer la vie de Céline. Il épousera sa fille un an et demi
plus tard, après lui avoir fait une cour assidue, et lui
donnera une fille, Colette, qui naîtra le 15 juin 1920. Il
reprendra ses études et deviendra, avec l'aide de son
beau-père, médecin. Supportant difficilement la petite vie
bourgeoise et provinciale qu'il mène à Rennes, il décide de
quitter sa famille pour de nouvelles aventures qui le
mèneront notamment en Suisse, comme médecin à la Société des
Nations ".
(La Bretagne de L.-F. Céline, Du Lérot, 2013, Le Petit
Célinien, 28 juillet 2013).
*
Angelo RINALDI
(romancier et critique littéraire, Académie française en
2001)
:
" Il
n'en finit pas de grandir, comme un cadavre dans une pièce de Ionesco.
Bientôt, il va boucher l'horizon littéraire d'une époque qui, il est
vrai, n'a pas beaucoup de tempéraments à lui opposer. "
(L'Express
n°1908, 1988).
* " Le premier
à avoir saluer cette édition dans la presse est Angelo
RINALDI. Tout en ayant une nette préférence pour
les
Entretiens avec le professeur Y, qui figurent
également dans ce tome, il a intitulé son article: Féerie
pour toujours " Oui, n'en déplaise aux esprits chagrins,
Céline a définitivement acquis sa stature de contemporain
capital. Et nous assistons, conclut le critique littéraire
de L'Express, au déferlement des eaux céliniennes,
qui emportent sur leur passage admirateurs, détracteurs,
pauvres moucherons de la critique que nous sommes. "
(Céline,
Romans IV, La Pléiade, dans BC n°136, janv. 1994).
*
" Un chat qui
saute sur la serrure d'une porte fermée en sait plus sur le mystère du
monde que tous les savants réunis. " J'aime cette phrase de Céline et pourtant
celle-ci se trouve dans les pamphlets qui peuvent aussi
procurer un sentiment d'horreur. Quelqu'un comme Gide, à
l'époque, les avait pris avec calme. Comme une transe de
carabin. Il n'y avait pas eu Auschwitz, ni la révélation
de l'horreur. Je crois que si Céline avait suivi les
conseils de sa femme, Lucette, il ne les aurait pas
publiés. Vous savez, de Villon, on ne prend pas le
casier judiciaire, mais les poèmes. Il est regrettable
que nous ne puissions pas estimer l'homme autant que
l'artiste, mais c'est comme ça. "
(Entretien, La Une,
août 1997).
*
Pierre-Edmond
ROBERT
(Professeur de littérature à la Sorbonne) : " L'enjeu
esthétique des pamphlets est important. Si Proust se situe dans
l'univers célinien à partir de Mort à crédit, les pamphlets et
les Entretiens répondent à Esthétique de la littérature.
Il est fort intéressant de noter que les officines de propagande
antisémite n'aimaient pas le style de Céline. Même Brasillach et
Rebatet n'appréciaient pas le style de Bagatelles, ce dernier
demandait à Céline de retrouver la vieille cadence latine, ce qui est
pour le moins cocasse. "
(BC n°136, janvier 1994).
* Véronique ROBERT-CHOVIN (écrivain, éditrice): "
Cette correspondance me fut donnée par Lucette Destouches un soir
d'automne, entre l'hiver et la nuit. Sept ans. Entre 1912 et 1919.
Entre les dix-huit ans de Louis Destouches et ses vingt-cinq ans.
Lucette m'avait dit : Je te donne ce dernier plan, le dernier
inédit de la vie de Louis, à charge pour toi de le mettre à jour.
Entre les mains, j'avais une boîte en carton, un peu abîmée et poussiéreuse, qui contenait un trésor.
Et c'est bien pour nous une chance extraordinaire de
tout retrouver intact et de pouvoir aujourd'hui, à notre
tour, faire resurgir un monde disparu qui, près de cent
ans plus tard, se remet à vivre. Il y a là comme une
pièce de théâtre en huit actes, un parcours initiatique
accompli en huit lieux différents. Un premier temps à
Rambouillet, chez les cuirassiers. - Un autre dans la
Meuse et les Flandres, en pleine guerre. - A Hazebrouck,
dans un hôpital auxiliaire installé dans un collège. - A
Paris, le temps d'une convalescence. - En Angleterre, à
Londres. - De nouveau à Paris, place de l'Opéra, au Café
de la Paix. - En Afrique, au Cameroun. - Et enfin dans
l'Ouest de la France, à Rennes et Bordeaux. "
(Devenir
Céline, Lettres inédites de Louis Destouches et de quelques autres,
1912-1919, Gallimard, 2009).
* Dominique ROLIN
(écrivain belge vivant à Paris): "
Tous ses livres sont composés de la même manière : l'esprit de colère
leur donne une structure remarquable. L'audace est extrême, avec
laquelle il monte ses architectures en appliquant les
lois d'un équilibre instable, inquiétant, s'aidant de matériaux bruts,
rongés, suspects, délités d'avance, qu'il place exprès, dirait-on, en
porte à faux comme si lui-même, mystérieusement en souhaitait
l'écroulement. Avec un rare courage, il s'est voulu seul. Non pas
dominateur d'une multitude dont il aurait à triompher en la jugeant,
maintenant ainsi entre elle et lui les distances nécessaires de
l'orgueil, mais au contraire perdu dans cette multitude, mêlé à elle,
victime comme elle, écartant rigoureusement les menaces de l'illusion,
du rêve ou du sursis; douloureux, humilié, furieux et, en fin de
compte, indifférent.
Car l'indifférence est
peut-être la clé de son univers. La violence verbale à jet continu, la
gesticulation forcenée qu'il impose à ses créatures, ce vaste appareil
théâtral mis en oeuvre à la lettre, n'expriment-ils pas la
volonté majeure de faire passer l'inaperçu ? "
(Ni avant ni après ni
ailleurs, L'Herne n°3, 1963).
* Olivier
ROLIN (écrivain, diplômé en philosophie) : " A vingt-sept ans, en 1974, au cours d'un été sinistre à
Bandol, j'ai découvert Voyage au bout de la nuit. Ma vie alors
était un désastre et j'essayais de comprendre comment j'en étais arrivé
là. Pendant sept ans, je n'avais lu que des ouvrages de philosophie
politique. Ce livre m'a servi de déclic.
J'ai compris qu'on pouvait
faire de la beauté avec de l'ordure, mélanger les registres, brutaliser
la langue, l'inventer, ne pas accepter les règles du jeu... Peu après,
j'ai commencé à écrire. "
(Le Figaro Madame 28 juin 1996).
* Jacques-Françis ROLLAND (écrivain, journaliste
1922-2008): " Mon père fit alors la connaissance de Céline et devint un
habitué
des fameuses réunions tenues le dimanche matin
dans l'atelier de
Gen Paul, avenue Junot. Planqué non loin de
là
sous le Moulin de la Galette, j'assistais parfois à la
sortie des meetings, ce qui me donna un jour
l'occasion de voir
Céline de près ; il me tapota
l'épaule en disant : " Alors, c'est le fiston ? ", et un
sourire vint atténuer la lueur inquiétante de ses yeux pâles.
Parmi ceux qui
s'éloignaient il y avait l'acteur Le Vigan, " La Vigue ", dont
j'enviais le pantalon de flanelle, la veste de tweed, le foulard
négligemment noué sous le col de la chemise ; un musicien, Noceti, dit
" Nonoce " : le dessinateur Daragnès ; le peintre Jean d' Esparbès qui
exposait des tableaux inspirés d'un thème unique, son autoportrait
affalé, le menton contre une table, devant un amas de marionnettes et
de pantins disloqués ; l'italien Peppino, un colosse coiffé d'un béret
basque, videur de boîtes sur la place du Tertre, qui jurait de casser
les reins à ceux qui embêteraient " monssou Céline ". Depuis la
publication de Mea culpa et de Bagatelles pour un massacre
avec ses ignominies racistes et antisémites, leur auteur recevait des
lettres de menace. "
(Jadis, si je me souviens bien, Le Félin, 2009,
dans BC n°313, nov. 2009).
* Jules ROMAINS
(poète et écrivain, 1885-1972, membre
de l'Académie française 1946) : " (...) Je ne suis pas jaloux mais je
suis surpris que
Politiken
qui a ses fiches si BIEN
FAITES n'ait pas tiqué un petit peu sur le
passé
nettement pro-nazi de Jules ROMAINS (tous ses livres traduits
en Allemagne par les soins d'Abetz et les miens interdits).
Je me dis qu'à Politiken il y a décidément quant à l'odeur de
sainteté, l'orthodoxie, deux poids et deux mesures !... Il est peut-être
inscrit à Politiken que Jules ROMAINS en seconde noces
a épousé une juive, sa dactylo. Mais ceci aggraverait plutôt
son cas !
Au reste l'homme est
un écrivain laborieux, de labeur parfaitement honorable, mais sans une
once d'inspiration de la lignée balzacienne - l'un encore de ces
paranoïaques qui entendent refaire la Comédie humaine ! Une
dizaine ainsi par génération - la formule fatiguée par excellence. Chez
Jules ROMAINS le Balzac tourne au
Baedeker - même pesanteur, même minutie, même insupportable pédantisme.
/ A bientôt je l'espère cher Maître./ LD. "
(Lettre à Thorvald
Mikkelsen, Copenhague le 5 janvier 1947, Lettres Pléiade 2010).
*
Joseph-Henri ROSNY
aîné
(né Joseph Henri Honoré BOEX, écrivain belge fondateur de la science
fiction moderne 1856-1940): "
Les Loups
ont plus de six cents pages compactes : c'est le roman d'une famille.
Très mouvementée, pleine de péripéties intéressantes, c'est une belle
œuvre puissante qui fait augurer un bel avenir pour
son créateur. Le
Voyage au bout de la nuit
est aussi une œuvre puissante. Elle a de rudes qualités,
elle révèle un sens aigu de la satire, un comique
énorme, une vision désespérée de l'humanité qui apparaît
abominable à
toutes les pages. Son auteur dit lui-même de son livre :
" C'est l'histoire d'un débordement, un délire. "
Telle
quelle, son originalité est incontestable : elle coule
en torrent, avec une truculence quasi rabelaisienne.
Inégal d'ailleurs, incohérent, allant au hasard, souvent
mal écrit, avec des répétitions incessantes, dans une
langue qui passe de l'argot à la terminologie
scientifique ou philosophique, ce livre fait de M.
Céline l'écrivain le plus extraordinaire parmi les
derniers venus. Son œuvre, qui a suscité de nombreuses
admirations parmi les professionnels et aussi de dures
critiques, ne saurait être laissée aux mains de la
jeunesse. "
(Une épidémie de gros livres, L'Eclair, 13 janvier
1933, 70 critiques de Voyage... Imec Ed. 1993).
*
Philip ROTH (écrivain américain, 1933-2018) : " A vrai dire, en
France, mon " Proust ", c'est Céline ! Voilà un très grand
écrivain. Même si son antisémitisme en fait un être abject,
intolérable. Pour le lire, je dois suspendre ma conscience
juive, mais je le fais, car l'antisémitisme n'est pas au
cœur de ses livres, même D'un château l'autre. Céline est un grand
libérateur. Je me sens appelé par sa voix. "
(Entretien de Philip Roth avec Jean-Pierre Salagas, La Quinzaine
littéraire, 16 juin 1984, BC n° 156, septembre 1995).
* 23 mai 2018 - Philip ROTH : s'est éteint à 85 ans, hier soir dans un
hôpital de New York, des suites d'une
insuffisance cardiaque congestive. Foin des
classements et des podiums : il était
certainement l'un des plus grands romanciers
américains, sinon celui dont l'œuvre, par sa
capacité à
troubler, déranger, subvertir, inquiéter, domina
la littérature dans son pays et au-delà au cours
des quarante dernières années, ce qui apparut
évident d'année en année un peu partout dans le
monde sauf à Stockholm mais on ne tire pas sur
une ambulance.
Il ne détestait rien tant que d'être présenté comme " un écrivain juif
américain ", label réducteur et à côté de la
plaque selon lui. Philip ROTH se voulait avant
tout un écrivain historicisé américain.
(Blog Pierre Assouline, La République des livres).
* Jean-Marie ROUART
(romancier, essayiste et chroniqueur, Académie française
en 1997) :
" Vouloir juger une œuvre selon des critères sociaux qui lui sont
extérieurs ne peut que conduire à en trahir le sens véritable. A
fortiori quand l'œuvre n'est pas récente car on veut à tout prix la
juger sur l'aune de critères actuels, ce qui constitue une incohérence
chronologique. Chaque écrivain est en effet tributaire des perspectives
et d'un système de valeurs propres à son époque mais qui ne sont plus
nécessairement les nôtres.
Cela ne signifie pas
qu'il n'y ait pas d'erreurs absolues. L'antisémitisme d'un Céline ou
d'un Drieu La
Rochelle est bien réel et il faut certainement le condamner. Mais c'est
à la société de le faire et elle ne s'en est pas privée,
notamment avec Brasillach.
D'un point de vue
littéraire, ce n'est pas par là qu'il faut juger ces écrivains. Seul le
talent doit être pris en compte et il faut à tout prix éviter de tomber
dans cette confusion entre la littérature et la morale. Ignorer cette
précaution élémentaire conduit tout droit à la dérive américaine du
" politically correct " : la critique littéraire se transforme en une
sorte de tribunal civique qui porte au pinacle des écrivains médiocres
au nom de la conformité de leurs idées. "
(Lu, septembre 1992).
* Catherine ROUAYRENC
(professeur émérite à
l'Université Toulouse-Le Mirail) : " En introduisant le parlé dans le
récit où règne la Norme, en s'attaquant donc au langage littéraire,
Céline fait œuvre d'iconoclaste, comme le souligne J. Dubuffet : "
Si vous voulez frapper au cœur la caste sévissante frappez-là à ses
subjonctifs, à son cérémonial de beau langage creux, à ses minauderies
d'esthète (...) Mais la caste sévissante vous pouvez compter sur elle
pour se défendre. Son mythe elle le défend dans son style : tous les
moyens sont bons, tous les coups permis. Je ne crois pas qu'elle le
défendra quand même longtemps de la démonstration portée par Céline. "
Céline d'ailleurs en a eu pleinement conscience: " mon style rendu
émotif... pour être qu'une petite trouvaille, je vous l'ai dit, c'est
entendu, ébranle quand même le Roman d'une façon qu'il s'en relèvera
pas ! "
(C'est mon secret, Du Lérot, 1994,p.77).
* Odile ROYNETTE (maître de
conférences en histoire contemporaine à l'université de
Bourgogne-Franche-Comté) : " On croyait tout connaître de
Louis-Ferdinand Céline un peu plus de cinquante ans après sa
disparition. L'approche historienne démontre le contraire.
Elle prend pour hypothèse le rôle matriciel de la Grande
Guerre dans l'émergence d'une personnalité et d'une œuvre.
Le brouillage de la réalité vécue de la guerre et la
construction d'une mythologie personnelle ont été largement
avalisés par les biographes. L'enjeu est ici celui de la
démystification grâce aux multiples sources convoquées.
Odile ROYNETTE montre que la dimension
officiellement héroïque de l'expérience célinienne de la
Première Guerre mondiale est d'autant plus nécessaire à
l'identité du combattant qu'elle sera, après 1944,
constamment revendiquée et présentée comme une pièce à
décharge dans le procès intenté à Céline par la justice de
l'Epuration. Son étude retrace la genèse et l'affirmation
d'un antisémitisme que l'homme et l'écrivain ont intimement
lié au pacifisme et à la mémoire de la Grande Guerre.
(Odile Roynette, Un long tourment, Louis-Ferdinand Céline entre deux
guerres (1914-1945).
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